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DESPOTISME ÉCLAIRÉ

Forgée probablement par des historiens allemands au cours du xixe siècle, l'expression de « despotisme éclairé » est maintenant consacrée. Celle d'«   absolutisme éclairé », comme divers auteurs l'ont fait remarquer, eût été sans doute préférable pour désigner le système de gouvernement, dans sa théorie et sa pratique, qui connut un tel succès – faut-il dire de mode ? – au cours de la seconde moitié du xviiie siècle et dans l'attente sourde de la Révolution. De quoi s'agissait-il en effet, sinon essentiellement d'adapter les monarchies absolues du passé à l'esprit nouveau, à cet esprit européen des Lumières (en allemand Aufklärung, en anglais enlightenment), à cette « philosophie » aux cinq maîtres mots : individu, raison, nature, progrès, bonheur ? De la sainte alliance de la philosophie et du pouvoir sortirait le bonheur des peuples, octroyé à ceux-ci d'en haut. La formule correspondait à un incoercible appétit de réformes dans l'opinion « éclairée ».

Malgré des variantes considérables selon le lieu, l'époque et surtout la personne du prince, la théorie et la pratique du système rentrèrent dans un schéma général.

La fameuse « secte » des physiocrates ou économistes, avec son étrange doctrine du despotisme légal, et compte tenu de ses préoccupations spécifiques, joua sa partie dans le grand concert du despotisme éclairé.

Mais le déclin de la formule était inscrit dans sa teneur même. Une tentative d'adapter l'antique autorité à l'esprit du siècle, progressive à son heure, ne pouvait être que de transition. Fragile était l'alliance des « philosophes » et du pouvoir. Éclairés ou non, les gouvernés allaient réclamer d'avoir voix au chapitre. Les tenants légitimes du pouvoir, même se piquant personnellement de « philosophie », n'avaient garde d'oublier que, somme toute, leur métier était d'être rois. Et 1789, en toute hypothèse, le leur eût rappelé.

Les réformes et l'opinion

Si l'essentiel était que la raison régnât, qu'elle gouvernât les hommes à la place des usurpatrices qu'étaient la tradition et la providence, il ne convenait alors pas de trop se soucier de la forme du pouvoir, de la nature du souverain, dès l'instant que celui-ci était éclairé, acquis aux Lumières, décidé à mettre au service de la raison les moyens de l'État. Un prince autoritaire, fortement armé, était même plus apte à faire aboutir les réformes concrètes que le progrès exigeait. S'il était trop évident que la masse des gouvernés était insuffisamment éduquée – et donc éclairée – pour que ce progrès pût partir d'en bas, de l'homme du « commun », alors l'opinion, excluant la voie démocratique, mettait ses espoirs dans la voie autoritaire, dans ce progrès imposé d'en haut. Ce qui revenait à faire appel à des princes tout ensemble sages et énergiques, disciples et amis de la philosophie et des philosophes, qui réaliseraient le rêve avorté de Platon.

Dans un beau chapitre de L'Ancien Régime, intitulé « Comment les Français ont voulu des réformes avant de vouloir des libertés », Tocqueville, à propos des physiocrates ou économistes, et invoquant Turgot, fait des observations qui s'étendent à l'opinion en général. Un système de réformes assez vaste et bien lié en toutes ses parties, comment eût-il pu émaner, se demandait cette opinion, d'une autorité autre qu'absolue ? Le meilleur instrument des desseins des réformateurs, n'était-ce pas à tout prendre l'administration royale ? « Il ne s'agit donc pas de détruire ce pouvoir absolu, mais de le convertir. »

Caractéristique est le cas de l'Anglais Jérémie  Bentham, qui devait, après 1815, fonder la doctrine utilitaire sur le principe du plus grand bonheur[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris

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