DESPOTISME ÉCLAIRÉ
De Catherine II à Joseph II
Sur le modèle frédéricien, fascinant mais inimitable, tout un lot de gouvernants plus ou moins éclairés, plus ou moins despotes se sont efforcés de marquer leur passage au pouvoir. Catherine II de Russie, la Grande Catherine, la « Sémiramis du Nord », qui règne de 1762 à 1796, émerge, bien entendu, de ce lot. Mais l'histoire retient ensuite, à côté de l'empereur d'AutricheJoseph II, Gustave III de Suède, Charles III d'Espagne, Charles-Emmanuel III de Savoie, certains princes roumains, le « ministre philosophe » Pombal au Portugal et Struensee au Danemark (médecin du roi Christian VII, demi-fou, qu'il domine). Cette liste n'est pas limitative. Elle ne doit pas dissimuler le fait, mis en relief par M. Lhéritier, que le despotisme éclairé ne fut pas « un », et que sa physionomie a évolué à mesure qu'on se rapprochait de la Révolution française : si bien qu'il y aurait lieu de distinguer une première manière, essentiellement frédéricienne, et une seconde, plus humaine, « philanthropique », dont un Joseph II rassemble assez bien les traits, une quinzaine d'années environ séparant l'une de l'autre.
Catherine II, despote frédéricienne
La Grande Catherine a écrit un jour à Diderot, protégé et pensionné par elle, et qui fit en 1773 le voyage de Russie, ces lignes souvent citées : « Vous oubliez, Monsieur Diderot, dans tous vos plans de réforme, la différence de nos deux positions : vous, vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout [...] tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine qui est bien autrement irritable et chatouilleuse. » La pauvre impératrice entendait néanmoins que nul dans l'Europe éclairée n'ignorât son zèle réformateur, freiné par un sain réalisme, et elle comptait à juste titre sur les philosophes de Paris pour sa publicité, sur Voltaire, d'Alembert, et précisément Diderot.
On a cru longtemps que ce dernier, si enthousiaste à l'égard de Catherine dans les années qui précédaient le voyage de Russie, s'était porté jusqu'au bout caution de la sincérité de ce zèle réformateur. La vérité, dont témoignent ses Œuvres politiques mieux connues depuis l'édition de P. Vernière, est que le fils du coutelier de Langres – qui avait fini par prendre en aversion Frédéric, pseudo-roi « philosophe », hypocrite démasqué, « renard de Potsdam » plus que Salomon du Nord – perdit plus d'une illusion à voir de près la grande souveraine et qu'il estima de son devoir de lui tenir, au nom des vraies Lumières, exactement le langage que lui avait inspiré la théorie politique frédéricienne. Il faut à cet égard lire les Entretiens de 1773 et, plus encore, les Observations de 1774 sur la célèbre Instruction préparatoire rédigée de la main de Catherine pour la confection des lois : qu'un gouvernement arbitraire n'est jamais bon ; qu'un despote, fût-il le meilleur des hommes, « commet un forfait » en gouvernant selon son bon plaisir ; que le droit d'opposition est un droit « naturel, inaliénable et sacré » dans une société d'hommes et que deux ou trois règnes consécutifs d'un « despotisme juste et éclairé » seraient pour une nation le plus grand des malheurs, telles sont quelques prises de position glanées dans ces Entretiens si substantiels. Quant aux Observations écrites hors de Russie, dont Catherine ne prit connaissance, non sans irritation, qu'après la mort de Diderot, on y lit : « l'impératrice de Russie est certainement despote : son intention est-elle de garder le despotisme ou de l'abdiquer ? », pour trouver in fine à cette indiscrète question la réponse que, si dans l'Instruction le nom de despote est « abdiqué », la chose est « conservée ».
C'est pourtant cette[...]
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Écrit par
- Jean-Jacques CHEVALLIER : membre de l'Institut, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
Classification
Médias
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