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DESPOTISME ÉCLAIRÉ

Le déclin de la formule

Le despotisme éclairé première manière, celle de Frédéric, fut une réussite en dépit de ses trompe-l'œil, de ses tares, de sa brutalité étatique. Celui de Joseph II et d'autres, plus humain, plus soucieux d'éducation, plus « philanthropique » fut un échec. Pourquoi ? Pour cette raison, sinon unique du moins principale, que l'esprit du temps avait changé dans le courant de la seconde moitié du siècle. La chose est spécialement sensible en France, terre par excellence des Lumières, des « philosophes » au prosélytisme ardent, des physiocrates ou économistes, des intendants éclairés qui sont en puissance, tel Turgot, des gouvernants éclairés. Croyons-en Tocqueville, déjà cité, mais qu'il faut lire plus avant, Tocqueville qui raille sans aménité les sectateurs du despotisme légal de leur admiration pour la Chine du temps, dont le souverain, despote mais « sans préjugés », tient à honorer les arts utiles et l'agriculture en labourant « une fois l'an la terre de ses propres mains ». L'auteur de L'Ancien Régime estime que, vers 1750, la nation française tout entière n'était pas plus exigeante en matière de liberté politique que les physiocrates eux-mêmes et que si un prince de la taille et de l'humeur du Grand Frédéric avait pu occuper le trône il aurait, sans perdre sa couronne et même en augmentant beaucoup son pouvoir, réalisé « plusieurs des plus grands changements » que la Révolution devait amener. Mais Tocqueville se hâte d'ajouter que, vingt ans plus tard, il n'en était plus de même. Voilà le point.

« L'idée que le peuple tout entier a le droit de prendre part à son gouvernement pénètre dans les esprits et s'en empare. Le souvenir des anciens états généraux se ravive [...]. Les Français ne se bornaient plus à désirer que leurs affaires fussent mieux faites ; ils commençaient à vouloir les faire eux-mêmes. » En somme, le despotisme éclairé avait rempli en Europe sa mission historique de compromis, à la fois théorique et pratique, entre l'absolutisme classique et les Lumières. Celles-ci lui devaient une première et partielle victoire sur les préjugés, l'intolérance, les conceptions irrationnelles et surannées de l'État. Victoire bonne à saisir, toute limitée et menacée qu'elle fût, victoire bonne à exploiter pour de nouvelles et plus décisives étapes dans la marche au progrès. À partir des années 1770 – la hardiesse déjà démocratique (relativement) d'un Diderot est un signe – le temps s'annonce de la « liberté éclairée ».

— Jean-Jacques CHEVALLIER

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris

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