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SATIRIQUE DESSIN

Des typologies agressives et leur critique

L'opposition entre satire politique et critique des mœurs est courante. En 1865, Jules Vallès déclare préférer les œuvres dans lesquelles Daumier attaque les mœurs plutôt que celles qui atteignent « seulement les gouvernements ». La satire devient éthique. Elle se veut miroir des mœurs du temps, et J. Grand-Carteret peut, à travers elle, décrire vie quotidienne, coutumes et modes de chaque époque.

Des typologies plastiques sont instituées, d'autant plus célèbres qu'elles correspondent aux préjugés communs à une partie de la population. Dans certains cas, elles peuvent constituer un appui à une politique gouvernementale.

Les dessins racistes ou xénophobes utilisent souvent de prétendues caractéristiques physiques. L'Allemagne hitlérienne multiplie les charges antisémites. Pendant la guerre de 1914-1918, la presse française conçoit de scandaleux dessins « anti-boches ». Dans une curieuse et discutable bande dessinée, Les Russes, Gustave Doré montre la Russie comme un mélange de cruauté, de sottise, de vices et de volonté de conquête. La description d'un peuple n'est pas nécessairement aussi injuste. La vision de l'Allemagne par Ronald Searle allie férocité et tendresse...

Perverse, écrasée, enfermée dans ses préjugés, les écartant d'un geste impudique, géante écrasant l'homme petit, objet manipulé, cloaque fangeux, cathédrale inaccessible, vieille sorcière, ingénue libertine (R. Searle, Cabu), prostituée hargneuse ou satisfaite, la femme est l'un des centres du dessin satirique. Toutes les métaphores du désir et de la crainte se donnent une figuration. J. I.  Grandville montre une femme sans tête ; une autre sort une langue de vipère. Les mots sont pris, « à la lettre » et mis en images : un cœur de pierre, une tête de linotte... Les préjugés, les angoisses trouvent figure. La femme cesse d'être un inquiétant mystère pour être livrée au rire. Toutes les misogynies simplificatrices peuvent s'étudier à travers les critiques de la mode et les mises en scène de la femme.

Les métiers constituent un autre lieu d'exploration. Pour le dessin satirique, il y a des gestes, des physionomies, des corps propres à chaque profession. Les avocats, les médecins, les militaires, les religieux sont privilégiés par les dessinateurs. Le jeu consiste à faire éclater les contradictions : entre l'apparence et la réalité ; entre un savoir affirmé et une ignorance de charlatan ; entre la vertu affichée et les vices ; entre la défense de la vie et une complicité cachée avec la mort. Mais, en même temps qu'il classe les hommes et moralise, le dessin satirique établit la critique des classifications, des hiérarchies morales. La tromperie, la sottise sont universelles. Grandville (Un autre monde, 1844) inscrit, dans les scènes qu'il impose, une philosophie du masque et de l'inexistence de l'homme. Celui-ci n'échappe à la bestialité que pour devenir une machine automatique. Il est si trompeur que « le masque lui a été donné pour faire connaître sa pensée » ; que les rapports (habituellement affirmés) entre apparence et réalité sont perturbés, faussés. Entre l'animalité de ses pulsions et les mécanismes de sa fonction, il n' a qu'un choix fallacieux. Pantin à ressorts ou brute aveugle. Ou encore vide radical : les vêtements sans corps s'animent. Un dessin de la cruauté s'instaure ainsi. Avant de se suicider, le dessinateur Chaval déclare : « Si mes dessins sont meilleurs que les autres, c'est qu'ils vont jusqu'au bout parce que j'y vais moi-même, et que je me détruis aussi. » La complicité avec la mort n'est plus alors rejetée sur le soldat qui torture, sur le médecin qui empoisonne. Le désir de mort se situe là même où se dessine le dérisoire de la vie, où s'impose la trivialité.[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

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