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DESTIN

S'il faut définir philosophiquement le destin, le résultat de cette conceptualisation doit contenir l'expression, d'une part, d'un déterminisme et, d'autre part, d'une saisie de ce déterminisme au moment de la mort : mort par anticipation ou saisie rétrospective. On aurait par exemple la formulation suivante : « enchaînement des causes et des effets conduisant à la mort ». Ce qui, à proprement parler, n'est rien d'autre que la vie. Vie, mort, l'idée de destin s'articule autour de cette évidence inéluctable et à travers elle : autant dire que, à la différence d'une notion philosophique, elle relève largement du mythe.

Destin : mythe et concept

De nombreux philosophes ont utilisé le terme de destin, à moins que ce ne soit l'inverse, et qu'ils aient été « utilisés » par lui : la conceptualisation du destin, à travers les romantiques, Hegel et Kierkegaard, ou à travers les Anciens, Platon, Aristote et les stoïciens, est un terrain d'élection pour qui veut saisir sur le fait la contamination, dans la démarche philosophique, des images et des concepts. L'exemple de Kierkegaard est éclairant : on relèvera dans son œuvre, notamment dans Ou bien... ou bien..., l'interférence de trois modèles culturels : le modèle judaïque, le modèle chrétien et le modèle grec.

Le tragique ancien, celui d'Agamemnon mais aussi d'Antigone, est à la fois un tragique de spectacle et le nœud d'une union avec la douleur : « C'est ainsi que notre Antigone est l'épouse de la peine. Elle voue sa vie à pleurer le destin de son père et son propre destin. » Le destin est la déploration, spectaculaire chez les Anciens, silencieuse pour les Modernes, d'une communauté de vie perdue.

Le modèle chrétien inspire toute la thématique de l'éthique et du sérieux, mais aussi le destin du Christ, qui pleure sur Jérusalem : « Ce n'est pas un prophète qui annonce l'avenir, ses paroles n'éveillent pas une inquiétude anxieuse, car ce qui est caché encore, il le voit devant ses yeux. » Le destin est alors accomplissement su et déterminé, accompagné de la douleur, non par suite de la méconnaissance par soi-même mais devant la méconnaissance d'autrui, en l'occurrence le peuple d'Israël.

Selon le modèle judaïque enfin, Abraham, puis Job, déplorent sans comprendre, comprenant seulement, mais d'une certitude sans détours, instantanée, qu'« à l'égard de Dieu nous avons toujours tort ».

Ainsi, le destin implique une relation du sujet à son savoir sur la vie et la mort : certitude rétrospective et cependant aveugle dans le cas du tragique grec ; certitude aveuglante et véridique au cœur de la méconnaissance pour le patriarche juif, et connaissance du Dieu rédempteur. Deux de ces relations déterminent deux types de malheur : la peine et la souffrance sont le propre des Grecs : « Souffrir pour comprendre », est-il dit dans Agamemnon. L'angoisse d'Abraham est la relation d'altérité, exemplaire ; mais aucun mot ne peut qualifier la douleur de Dieu, car celui-ci ne relève d'aucune altérité, essence de l'homme : altérité politique grecque, altérité tribale judaïque. Le destin peut donc être défini comme la saisie douloureuse du trajet qui conduit la vie vers la mort, en même temps qu'il ne peut manquer de spécifier la problématique de la relation, éthique et politique. Ainsi peut-on rendre compte du fait que la notion d'histoire ait été entée sur celle de destin et qu'elle ait pu apparaître comme un spectacle dont un Dieu, absurde comme celui qui gère la guerre de Troie, ou impénétrable comme celui qui préside aux destinées du peuple juif, effectue la mise en scène incompréhensible aux hommes qui dès lors n'ont plus à la modifier, mais à la jouer et à la subir. Cette histoire[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université

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