DESTIN
Aux sources de la tragédie
La mythologie du destin d'Œdipe peut n'être pas pensée comme universelle, mais comme relative à l'éthique et à la politique de la Grèce du ve siècle. Or, si l'histoire d'Œdipe n'est plus exemplaire que de son temps historique, la notion même de destin en subit le contrecoup et ses versions successives sont autant de distorsions idéologiques dont l'histoire reste à écrire : ainsi par exemple du romantisme hégélien, marqué du sceau grec, de l'image d'Antigone et de l'inéluctabilité de l'idée même de dialectique.
Pour J.-P. Vernant, l'histoire d'Œdipe se constitue en destin en fonction de deux déterminations institutionnelles propres à la πολίς athénienne : l'ostracisme et la fête des Thargélies. L'ostracisme, procédé politique archaïque dans la structure démocratique contemporaine de Sophocle, consiste dans l'exclusion d'un citoyen : par vote, mais sans accusation ni défense ; par l'accord tacite des citoyens sur le fait que l'un d'entre eux est trop grand pour la cité, et donc dangereux. « Une cité périt de ses hommes trop grands », dit Solon. Quant à la fête des Thargélies, elle comporte aussi une exclusion, rituelle, d'un bouc émissaire, le ϕάρμακος, chargé de toute la bestialité de l'ensemble des hommes de la πολίς. Or Œdipe est à la fois celui qui est trop grand – trop puissant, trop heureux –, et celui qui est trop vil : égal aux dieux au début de la tragédie, il devient égal aux bêtes à la fin. Son destin est d'être hors mesure, en proie à la démesure (ὑϐρίς). Brouillant les règles de parenté, il est à la fois dieu et bête et conjoint en lui les deux extrêmes entre lesquels se constitue la cité des hommes : comme un pion isolé sur un jeu de dames, dit Aristote, à l'inverse même de la prudence qui constitue l'essence de l'homme comme animal raisonnable. Destin : marque du surhomme et de la bête. Pour le Grec, le destin ne peut que donner lieu à une procédure d'expulsion ; c'est ainsi que Platon chasse le poète de la cité, car il introduit par ses chants à la gloire des héros tragiques la disproportion et le danger d'une trop grande proximité avec les dieux.
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Écrit par
- Catherine CLÉMENT : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université
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