DÉTERMINISME, géographie
Les logiques qui traversent le débat
L'entrecroisement de trois logiques joue un rôle essentiel. La première est d'ordre historico-scientifique, la querelle du déterminisme étant une figure récurrente de l'histoire des sciences. Le déterminisme, si fortement affirmé par Laplace ou Claude Bernard à propos des sciences de la nature au xixe siècle, semble si incontournable pour fonder toute approche scientifique qu'il imprègne également les sciences humaines et sociales. On retrouve là le modèle réductionniste de la connaissance déjà évoqué et dont de nombreux géographes ont semblé se contenter. Il faut d'ailleurs souligner que l'école française, si nostalgique du déterminisme du milieu naturel, a été battue en brèche dans les années 1970 au nom... d'autres déterminismes, fondés sur la recherche de lois spatiales ou économiques.
La deuxième logique est d'ordre anthropologique et n'a eu de cesse, depuis l'Antiquité grecque, de solliciter le déterminisme du milieu naturel pour expliquer les différences culturelles. En s'intéressant à l'ailleurs, en explorant d'autres contrées, en mettant en rapport les caractéristiques des sociétés et leur milieu, l'interrogation géographique a non seulement conforté des stéréotypes sur la hiérarchie des races ou des civilisations dans des buts de domination, mais également permis de renouveler les types de recours au déterminisme. Comme le rappelle Paul Hazard (La Crise de la conscience européenne, 1961), de toutes les leçons que donne l'espace à partir des relations de voyage, la plus neuve est peut-être celle de la relativité. Les différences de mœurs, de milieu, et leurs mises en relations ont pu converger vers la reconnaissance du particulier, de l'unique. Au sentiment de supériorité a pu se substituer celui de la différence. La découverte de mondes autres, désormais valorisés ou valorisables, a agi comme un révélateur du monde de l'Européen. Le déterminisme s'est ainsi mis également au service de la prise en compte de l'altérité.
Enfin, il existe une logique que l'on pourrait appeler objective : peut-on évacuer l'idée même de l'emprise du milieu naturel comme problème structurant du développement des sociétés, comme en témoignent les préoccupations actuelles pour les changements climatiques et le développement durable ? Febvre terminait son ouvrage, déjà cité, en rappelant que l'homme primitif gaspillait ses ressources pour atteindre ses fins : « Il mettait le feu à la maison pour faire cuire son œuf. » En sommes-nous si loin ?
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Vincent BERDOULAY : professeur, Laboratoire société-environnement-territoire, C.N.R.S. et université de Pau
- Olivier SOUBEYRAN : professeur à l'université de Grenoble-I, Institut de géographie alpine
Classification
Autres références
-
FEBVRE LUCIEN (1878-1956)
- Écrit par Bertrand MÜLLER
- 2 118 mots
- 1 média
...La Terre et l’évolution humaine, commentant les travaux de l’école française de géographie (fondée par Paul Vidal de La Blache) et critiquant la géographie déterministe (représentée notamment par Friedrich Ratzel), paraissait accompagné de la mention de la collaboration du géographe Lionel Bataillon.... -
POSSIBILISME, géographie
- Écrit par Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN
- 1 530 mots
...humaine (1922), pour caractériser l'approche de celui-ci, l'a qualifiée de possibiliste. Selon lui, elle était la seule voie raisonnable face au déterminisme qu'il dénonçait chez Friedrich Ratzel, l'inspirateur de la géographie humaine, et face au sociologisme qu'incarnaient pour lui... -
VIDAL DE LA BLACHE PAUL (1845-1918)
- Écrit par Isabelle LEFORT
- 1 008 mots
Considéré comme le « père fondateur » de l'école française de géographie, Paul Vidal de La Blache a publié des ouvrages – Tableau de la géographie de la France (1903, réédité jusqu'en 1994), l'Atlas d'histoire et de géographie (1894) – qui restent des marqueurs...