DÉTERMINISME
Le déterminisme expérimental
Dans les textes de philosophie scientifique du xixe siècle – notamment chez Claude Bernard, qui exprime la vérité d'un siècle et plus – on peut séparer deux langages et deux problèmes bien différents.
Axiome épistémologique
Premier problème, premier langage : il s'agit de définir la méthode expérimentale universelle de la connaissance scientifique, qui concerne également les corps « bruts » et les corps « vivants ». Unité de l'objet entraîne universalité de la méthode. En seconde approximation seulement, il peut être question de la spécificité d'un domaine. Aussi n'apparaît-elle que comme perturbation, et la théorie spéciale de l'expérimentation en physiologie, par exemple, n'est-elle que la série des addenda, complications et restrictions qu'il faut apporter à la méthode expérimentale en physicochimie. L'objet physiologique n'est qu'un cas particulier. Plus tard il en sera de même pour l'objet psychophysiologique. De là une première fonction du déterminisme : il est le concept de cette unité, voire de cette réduction.
« Il faut admettre comme un axiome expérimental, écrit Claude Bernard, que chez les êtres vivants aussi bien que dans les corps bruts les conditions d'existence de tout phénomène sont déterminées d'une manière absolue [...] Tous les phénomènes de quelque ordre qu'ils soient existent virtuellement dans les lois immuables de la nature, et ils ne se manifestent que lorsque leurs conditions d'existence sont réalisées. » Ce qui veut dire en d'autres termes que la condition d'un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se produire toujours et nécessairement à la volonté de l'expérimentateur. La négation de cette proposition ne serait rien autre chose que la négation de la science même. Clairement, « axiome expérimental » ne signifie pas tant ici vérité tirée de quelque manière de l'expérience ou délimitée par elle, qu'axiome la commandant. À la limite, la science est le pléonasme du déterminisme. Thèse proprement rationaliste, mais fort peu dialectique.
L'épreuve de l'expérimentation
Cependant, cette formulation, qui tout à la fois résume un « esprit scientifique » et lui fournit son langage, en recouvre d'autres, plus décisives pour l'histoire des sciences. Citons de nouveau Claude Bernard : « Il y a dans tous les phénomènes des conditions du milieu qui règlent leurs manifestations phénoménales [...] mais les êtres organisés renferment en eux les conditions particulières de leurs manifestations vitales, et à mesure que l'organisme se perfectionne, [il] crée les conditions spéciales d'un milieu organique qui s'isole de plus en plus du milieu cosmique [...] c'est seulement dans les conditions physicochimiques du milieu intérieur que nous trouverons le déterminisme des phénomènes extérieurs à la vie [...] Cela nous amènera à considérer dans l'organisme des réactions réciproques et simultanées du milieu intérieur sur les organes, et des organes sur le milieu intérieur. »
Nous trouvons ici, non plus un discours général de la méthode, mais les protocoles d'une véritable pratique du déterminisme, pratique de la détermination et de la vérification. Il ne s'agit plus de « garantir » des lois mais de les produire effectivement, dans leur contenu de connaissance que rien n'anticipe véritablement. Aussi est-il ici impossible de dissocier la position du déterminisme et l'introduction dans la connaissance d'un concept spécifié, qui lui donne son efficacité réelle.
Il s'agit, chez Claude Bernard, du concept de « milieu intérieur », par où se fonde réellement la physiologie comme science. Il désigne en effet un domaine nouveau d'expérimentation : celui des sécrétions internes[...]
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Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
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