DÉTERMINISME
Le modèle mécanique du déterminisme
La pratique des sciences expérimentales au xixe siècle, dont la physiologie bernardienne a fourni l'exemple, ne peut se fonder pour autant entièrement sur elle-même. Nous avons avancé la thèse qu'elle use à bon droit de la catégorie de déterminisme, dès lors qu'elle délimite théoriquement et techniquement un objet spécifique. Mais nous avons vu qu'elle renvoie aussi à la donnée préalable des « conditions physico-chimiques ». Il s'ensuit que toute explication repose aussi sur un « déterminisme » antérieur qui, pour l'ensemble des sciences naturelles, fonctionne comme un fondement et un modèle : le déterminisme mécanique. Il est à la fois, et contradictoirement, l'horizon d'une réduction possible des sciences particulières à une théorie unitaire du mouvement matériel, et source des applications complexes qui déterminent historiquement leur spécificité.
Il faut d'abord rappeler nettement que le déterminisme n'est pas à proprement parler un concept mécanique. La théorie mécanique, même « classique », peut s'exposer sans avoir aucunement besoin de se définir « déterministe ». Le déterminisme désigne en fait l'existence même de lois mécaniques, c'est-à-dire de l'objet théorique de la mécanique.
Atomes, forces, univers
Dans sa forme classique, la théorie mécanique comporte la définition de trois concepts : la description de l'état instantané d'un système de points matériels, la loi du mouvement (sous forme intégrale ou sous forme différentielle), et la nature des forces qui s'exercent sur le système.
Pour déterminer l'état mécanique d'un système de points matériels à un instant donné, il faut en caractériser la position géométrique (trois coordonnées spatiales par point si on utilise un repère cartésien), et l'état dynamique (trois coordonnées dynamiques par point, représentant les projections de sa vitesse sur chaque axe du repère). Un système de n points matériels est donc, dans le cas général, entièrement caractérisé à chaque instant par 6 n coordonnées indépendantes, qui sont des nombres réels.
Si on connaît l'état du système à un instant t1 et les forces qui agissent sur les points matériels qui le constituent (par exemple des forces de Coulomb, de gravitation, etc.), ces seules données permettent de déterminer l'état du système à tout autre instant t2 (que l'on ait d'ailleurs t1 < t2 ou t2 < t1).
Cette propriété avait déjà trouvé chez Laplace une formulation célèbre, bien que Laplace, strictement newtonien dans sa philosophie naturelle, n'emploie pas, et pour cause à cette date, le terme de déterminisme : « Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux » (Essai philosophique sur les probabilités, 1814). On voit que cette formulation contient l'affirmation d'un postulat épistémologique : une connaissance plus complète des lois de la nature n'est qu'un progrès indéfini des techniques de l'analyse et une précision indéfiniment croissante de l'observation et des mesures. Surtout, elle implique un postulat métaphysique : l'équivalence ou la réversibilité des deux directions du « cours du temps » (progressive, régressive) qu'exprimerait l'invariance des équations de la mécanique lorsque[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE DES SCIENCES
- Écrit par Sophie HOUDART
- 3 546 mots
- 1 média
...les cultures investit donc la pensée anthropologique depuis ses débuts. Héritée d’une philosophie qui concevait en substance les formes sociales comme déterminéespar le milieu naturel (L’Esprit des lois de Montesquieu, ou bien leContrat social de Rousseau), elle servit longtemps à classer les sociétés... -
CAUSALITÉ
- Écrit par Raymond BOUDON , Marie GAUTIER et Bertrand SAINT-SERNIN
- 12 987 mots
- 3 médias
L'hypothèse du déterminisme, selon laquelle, si les positions et les vitesses des éléments qui constituent un système matériel sont connues à un instant donné et que les lois auxquelles ce système obéit le soient aussi, alors l'évolution du système peut être prévue, repose sur une telle conception... -
CHAOS, physique
- Écrit par Pierre BERGÉ et Monique DUBOIS
- 3 388 mots
- 6 médias
...de nombres X1, X2, ... Le point crucial est que, pour toute une gamme de valeurs de A (en particulier A = 4), la suite engendrée est erratique. Malgré le caractère très simple et parfaitement déterministe de la loi qui engendre les nombres successifs, ceux-ci sont (à temps long) aussi imprédictibles... -
COMTE AUGUSTE (1798-1857)
- Écrit par Bernard GUILLEMAIN
- 9 502 mots
- 1 média
Le dogme fondamental de la philosophie positiviste n'est autre que l'affirmation du déterminisme : « Tous les phénomènes quelconques, inorganiques ou organiques, physiques ou moraux, individuels ou sociaux, sont assujettis à des lois rigoureusement invariables » (Cours, t. VI, p. 655). Cela ne... - Afficher les 37 références