DÉTERMINISME
Déterminisme et indéterminisme
Cette impression de crise ne pouvait naître de la révolution einsteinienne, malgré sa critique de l'idée de simultanéité absolue : en substituant à la ligne de causalité classique un « cône de causalité », elle laissait inchangée, en effet, la réversibilité locale des enchaînements de cause à effet. La crise a été déclenchée par la formation de la mécanique quantique. Certes, on peut penser qu'une bonne partie des difficultés, un temps apparues insurmontables, qu'elle soulevait n'appartiennent plus aujourd'hui qu'à l'histoire des sciences et des idéologies scientifiques : d'autant que, par rapport à ses formulations initiales, la théorie quantique (qui est aujourd'hui non seulement une mécanique, mais une physique complète) est en passe d'être largement refondue. Ces difficultés n'en sont pas moins instructives par ce qu'elles révèlent des nécessaires contradictions de la pensée scientifique. Plus récemment encore, des expériences comme celles qui ont été menées à Orsay par le physicien A. Aspect (à partir d'une « expérience de pensée » d'Einstein, reformulée par J. S. Bell) ont réfuté l'espérance de prouver l'incomplétude de la théorie quantique pour autant que ses concepts sont essentiellement probabilistes. Mais certains physiciens philosophes (B. d'Espagnat) en ont tiré argument pour suggérer à nouveau de considérer la physique, non comme une science du réel en lui-même, mais comme une science à « objectivité faible », le réel demeurant toujours essentiellement voilé. Il paraît encore prématuré de décider si ces nouveaux débats feront plus, au fond, que répéter ceux qui les ont précédés.
À l'origine, les difficultés se sont concentrées notamment autour de deux points : d'une part, l'observation d'une dualité de comportements, « corpusculaires » et « ondulatoires », dans les phénomènes microphysiques (diffraction des électrons, effet photoélectrique, etc.) ; d'autre part, l'interprétation des « relations d'incertitude » énoncées en 1927 par Heisenberg. Examinons, schématiquement, ce dernier point.
Si l'on représente par p la composante de position d'une « particule », et par q la composante correspondante de la quantité de mouvement, si on appelle Δp et Δq respectivement les incertitudes portant sur leur détermination à un instant donné, la première relation de Heisenberg s'énonce Δp. Δq ≥ h, où h est la constante de Planck.
Une telle relation signifie que les incertitudes sur les deux variables « conjuguées » p et q ne sont pas indépendantes. On ne peut pas poursuivre la détermination de l'une d'elles avec une précision croissante sans rendre par là même de plus en plus grande l'erreur portant sur l'autre. À la limite, une précision absolue dans la localisation de la particule correspondrait donc à une quantité de mouvement complètement indéterminée, et réciproquement. Il est donc impossible de définir ici, d'une façon qui ait un sens théorique, l'« état initial » du mouvement d'une particule d'une façon qui permette la prévision selon le schéma déterministe de la mécanique classique.
Celui-ci pouvait encore s'exprimer en représentant l'état du système, à chaque instant, par un point dans un espace abstrait à 6 n dimensions, appelé « espace des phases ». La relation de Heisenberg signifie que, en mécanique quantique, au lieu de pouvoir représenter un état par un point et attribuer une valeur et une seule à ses coordonnées, il faut lui assigner un volume. Il n'y a plus de trajectoire linéaire des points représentatifs du système dans le temps.
Les limites de toute expérience possible
La limitation théorique ainsi introduite n'est pas[...]
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Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
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