LILIENCRON DETLEV VON (1844-1909)
Né à Kiel d'une famille d'officiers appauvris, Detlev von Liliencron, enfant rêveur, fuit les hommes et leur préfère la chasse et la solitude. Il choisit le métier des armes et participe aux guerres de 1866 et de 1870. Un jour, il emmènera sa famille en France, sur les champs de bataille... Des dettes l'obligent, cependant, à quitter l'armée et, après un séjour en Amérique, où il est tour à tour professeur de langue et pianiste, il s'installe sur une petite île frisonne pour y exercer la fonction d'inspecteur des digues. Il se marie trois fois. Et trois fois son mariage est un échec. En outre, la gêne le guette. Ce n'est que peu avant sa mort qu'il connaîtra la tranquillité, du moins sur ce plan-là : une rente viagère de l'empereur Guillaume II lui permet de vieillir sans souci d'argent.
C'est sans doute Poggfred, épopée « avec et sans héros » en vingt-neuf chants, qui transmet l'image la plus fidèle de cet écrivain aux visages apparemment inconciliables. Dans cet ouvrage hétérogène se trouvent réunies toutes les obsessions de l'auteur — son amour de la nature et ses invectives contre les méfaits de la vie quotidienne, le Jugement dernier et un Martien, Frédéric II et Napoléon Ier, César et Hannibal, Dante et lord Byron —, véritable capharnaüm donc qui, malgré des faiblesses artistiques, traduit simultanément le pessimisme profond et l'exubérante gaieté de Liliencron.
À trente-neuf ans, il a publié son premier recueil de poèmes, Chevauchées d'un aide de camp et autres poésies (Adjutantenritte und andere Gedichte, 1883). Autour de son auteur, une légende se tisse : il se serait réveillé poète et aurait tout écrit d'un jet. Liliencron essaye de combattre cette faribole, va même jusqu'à tourner en dérision ses premières tentatives littéraires : son auto-ironie est cinglante ; ses manuscrits, en outre, témoignent d'un travail assidu de correction. Mais l'ouvrage a fait de lui un héros de la jeunesse, phénomène d'autant plus inexplicable que l'écrivain ne s'occupe guère des problèmes de l'époque et que, sur le plan de la forme, ses poèmes n'ont rien de révolutionnaire. Pourtant, une grâce rythmique, une vue sans clichés de la nature ont attiré le public. Le symbolisme lyrique de Liliencron lui permet même l'évocation d'images à la précision inquiétante pour l'époque : un champ moissonné devient un champ de bataille. On le voit, son appartenance à l'armée ne lui a pas fait idéaliser la guerre.
Tout en continuant à écrire de la poésie — le ton de ses ballades historiques est objectif sans être jamais froid — Liliencron se tourne alors vers la nouvelle. L'édition de 1904-1905 comprendra quatre recueils dont les titres annoncent déjà les thèmes : la guerre, les rois et les paysans, la nature du Schleswig-Holstein. Les Nouvelles de Guerre (Kriegsnovellen, 1894) exhalent le désespoir : comme les faits d'armes, la fuite dans l'ivresse ou la sensualité ne comportent aucun élément constructif qui permette à l'homme de trouver une issue à son malaise. Et pourtant, simultanément, Liliencron se fait le défenseur du libre arbitre et du droit à la solitude. Ainsi chantera-t-il, dans une de ses nouvelles, les louanges de la maison royale qu'il préfère : celle des Mérovingiens. Ceux-là étaient encore des hommes, des hommes sûrs d'eux, libres des scrupules dont se sent accablé l'auteur.
Le dernier recueil, Récolte tardive (Späte Ernte), contient son chef-d'œuvre, Hans (Der blanke Hans). Les habitants d'une petite île sont exposés à un double danger : les marées d'équinoxe et, entre leur déferlement, la présence d'une femme très belle qui menace le bonheur conjugal des hommes. Le retour des flots les noiera tous. Les phénomènes naturels ne sont donc[...]
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Écrit par
- Lore de CHAMBURE : professeur à l'École allemande de Paris
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