DÉTROITS ET ISTHMES

Les détroits : des ponts entre deux littoraux, deux pays voire deux continents

L’importance stratégique des détroits résulte de leur fonction de pont entre deux littoraux mais aussi parfois entre deux pays, voire deux continents. Un détroit offre en effet des possibilités de traversées nettement plus faciles qu’ailleurs puisque les littoraux y sont exceptionnellement rapprochés : il est en fait le point de passage où la traversée maritime est la plus courte. Lorsqu’un lien fixe (pont ou tunnel, mais aussi câbles de télécommunication ou conduites énergétiques, comme les gazoducs) est aménagé entre les deux rives d’un détroit, il peut occuper une situation de carrefour à l’intersection des réseaux de transports maritimes et terrestres. Au sein d’une Europe où la mobilité des biens et des personnes est de plus en plus aisée, les détroits deviennent des maillons des transports à longue distance. Le tunnel sous la Manche, inauguré en 1994, a permis le raccordement des réseaux routiers et de trains à grande vitesse entre la Grande-Bretagne et la France, et au-delà avec le continent européen. Dans le détroit de Gibraltar, la période estivale est le moment d’un grand va-et-vient saisonnier : des centaines de milliers de personnes vivant en Europe et originaires du Maghreb y retournent le temps des vacances, le plus souvent par ferry. Ces migrations saisonnières Nord-Sud sur le territoire espagnol, dénommées « opérations de transit » ou paso del estrecho, sont facilitées par une bonne coopération entre les gouvernements espagnol et marocain. Le port d’Algésiras, plus grand port de passagers d’Espagne, dispose de huit appontements pour accueillir des ferrys effectuant la traversée vers les ports de Tanger-ville, Ceuta et Tanger Med.

Lorsque les détroits sont des zones de contact entre deux rives présentant des dissymétries économiques, démographiques, sociales, voire politiques, ils sont des points de passage privilégiés des flux illégaux en même temps que des zones de fortes pressions migratoires : cela est vrai des détroits de la mer Méditerranée mais aussi du détroit de Torres entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée, ou encore du détroit de Floride entre les États-Unis et l’archipel des Antilles. Les migrants illégaux prennent le risque de passer soit en naviguant dans des bateaux de fortune surchargés, soit en se cachant sous les essieux des camions dans les ferrys. Au Maghreb, les enfants et les adolescents qui tentent la traversée vers l’Europe par eux-mêmes sont surnommés les haragas, c’est-à-dire les « brûleurs de détroit ». Avec la complexification et l’allongement des circulations migratoires, les migrants clandestins passant par les détroits ne proviennent plus seulement des États riverains. Le détroit de Malacca est ainsi non seulement un lieu de passage privilégié des migrants illégaux entre l’Indonésie et la Malaisie, mais aussi un espace de transit pour les migrants et les demandeurs d’asile cherchant à se rendre en Australie. Peu surveillé en comparaison du détroit de Gibraltar ou du pas de Calais, le détroit de Malacca est un espace de transit considéré comme peu risqué par les trafiquants pour transporter les migrants originaires d’Asie du Sud-Est, comme les Rohingya, mais aussi du Moyen-Orient (Afghanistan, Iran, Irak), d’Asie du Sud, ou encore du Sri Lanka et même de Somalie.

Les détroits se transforment parfois en de véritables barrières de contrôle. Du fait des étendues à couvrir, de la fluidité du milieu marin et de l’impossibilité de clôturer la mer par des installations en dur, les États ont recours en priorité à des systèmes de smart border, c’est-à-dire des outils technologiques servant à aider les forces navales en mer à détecter, arraisonner et si besoin intercepter les embarcations ou navires suspects. Ainsi, le gouvernement espagnol a développé à partir de 1999[...]