DÉTROITS ET ISTHMES

Des espaces ressources et des territoires pour les États riverains

Pour les États, les détroits et les canaux sont des ressources à part entière, l’objectif des gouvernements étant de capter les bénéfices des flux en transit afin de favoriser la croissance économique. Alors qu’elle ne détient aucune réserve de pétrole, la cité-État de Singapour a néanmoins profité de sa situation pour développer une industrie pétrochimique en attirant des multinationales, devenant même au début des années 2020 le troisième centre mondial de raffinage et de négoce du pétrole derrière Rotterdam et Houston. Du fait de l’importance des trafics qui y transitent et de leur ancrage aux réseaux mondialisés d’échanges, ces passages interocéaniques abritent et fixent ainsi les plus grands ports mondiaux. Situés au carrefour des principales routes maritimes, le pas de Calais et le détroit de Gibraltar favorisent la croissance des ports de la mer du Nord (Anvers, Rotterdam et Hambourg) et de la Méditerranée (Algésiras et Tanger Med). Au sud de l’Espagne, Algésiras est à la fois un port pétrolier et de transbordement, et une zone industrialo-portuaire avec des raffineries et des industries sidérurgiques ; c’est le port principal du détroit de Gibraltar et le premier port espagnol. De l’autre côté du détroit, le port de Tanger Med, inauguré en grande pompe en 2007, a pour fonction non seulement de capter au maximum les flux est-ouest qui empruntent le détroit mais aussi, grâce à la création in situ de zones franches, d’être un nouveau pôle économique en mesure de dynamiser l’économie du Maroc. Quant au Panamá, son économie et ses finances sont dépendantes du canal, l’État captant une grande partie des revenus générés par les péages dont chaque navire en transit doit s’acquitter (environ 13 000 passages par an en 2022) : les navires format Panamax (5 000 EVP) payent environ 350 000 dollars, et les néo-Panamax (jusqu’à 12 000 EVP) peuvent payer 1,2 million de dollars. Malgré la nécessité pour l’État panaméen d’investir pour contribuer à l’entretien et à l’aménagement des infrastructures, le canal demeure rentable.

D’autant plus que, pour les pays traversés par des canaux ou riverains des détroits, ces grands passages ne sont pas seulement des espaces de transit dédiés aux échanges mondiaux, ce sont aussi des territoires à part entière. Au Panamá, toute la vie économique du pays s’organise également autour de ce canal qui polarise le territoire en créant des disparités à l’échelle nationale : plus de la moitié de la population et du PIB, ainsi que la quasi-totalité des investissements étrangers, sont concentrés dans la région centrale, une région métropolitaine englobant les deux villes portuaires de Panamá et de Colón, distantes de 80 kilomètres. Les autres provinces, distantes du canal, restent à la marge de cette économie de plus en plus extravertie et sont peu développées. Dans les détroits, les relations entre les deux rives organisent et structurent les espaces côtiers : les ferrys inter-rives, les petits bateaux de pêcheurs, les embarcations traditionnelles croisent ainsi les superpétroliers et les porte-conteneurs de plus en plus gigantesques. Les détroits du Bosphore et des Dardanelles relient la mer Noire à la mer Égée en passant par la mer de Marmara, constituant comme une artère de pétroliers, mais ils sont aussi empruntés par des vapur, des bateaux traditionnels assurant la traversée intra-urbaine entre les deux rives d’Istanbul (plus de 2 000 trajets par jour). De même, dans le détroit de l’Øresund, la construction en l’an 2000 d’un lien fixe (constitué d’un pont et d’un tunnel) a fait émerger de nouvelles dynamiques métropolitaines entre Copenhague et le pôle urbain de Malmö, favorisant le développement de flux entre la Scandinavie, l’Europe du Nord et les États riverains de la mer[...]