- 1. La dette, fait universel ?
- 2. Dette et devoir dans le vocabulaire sanscrit et dans la pensée brahmanique
- 3. Créanciers et débiteurs : le régime de la dette
- 4. La dette fondamentale et les dettes partielles
- 5. Le problème du déontique et le dharma
- 6. L'injonction relative au sacrifice
- 7. Bibliographie
DETTE, anthropologie
« Cependant Tosillos dit à Sancho : “Sans doute, l'ami Sancho, ton maître doit être fou. − Comment, doit ? répliqua Sancho : il ne doit rien à personne, car il paie, et mieux encore quand c'est en monnaie de folie”. » La traduction française (par C. Oudin et F. Rosset, revue par J. Cassou, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1949, p. 1007) de ce passage du Don Quichotte de Cervantes (II) rend très naturellement et sans difficulté le jeu de mots de l'espagnol : « Sin duda, este tu amo, Sancho amigo, debe de ser un loco. − ¿ Como debe ? respondió Sancho. No debe nada a nadie » (Don Quijote de la Mancha, J. G. Soriano et J. G. Morales éd., Aguilar, Madrid, 1980, p. 1543). La transposition est tout aussi aisée en italien, et, chose plus remarquable, en russe (trad. N. Ljubimov, Moscou, 1955, p. 529) : « ... on dolžen byt' », « il doit être », « ... nikomu on ničego ne dolžen », « il ne doit rien à personne ». Voici comment le traducteur anglais a résolu le problème : « Doubtless he ought to be reckoned a Madman. − Why ought, replied Sancho, he owes nothing to any Body » (trad. de Peter Motteux, révisée par Ozell) : l'auxiliaire d'obligation et de possibilité ought est, en effet, bien que l'orthographe le masque, le prétérit de to owe, « être en dette ». Et l'allemand : « bei deinen Herrn solls nicht richtig sein... Wieso soll ?... er hat nirgends ein Soll... » (trad. anonyme de 1837, révisée par K. Thorer, Wiesbaden, 1955) : au verbe sollen, « devoir » (expression, ici, de la modalité du probable), fait écho, pour signifier « être en dette », non pas une autre construction ou une autre forme de ce même verbe, mais la locution ein Soll haben, « avoir un débit, un passif » ; dans le vocabulaire de la comptabilité, en effet, Soll est le « doit », par opposition à l'« avoir ».
Dans les langues européennes modernes que nous venons d'évoquer, apparaît donc l'étroite parenté entre les formes du verbe « devoir », qu'il s'agisse de l'obligation proprement dite ou de l'obligation comme probabilité, et celles qui signifient « être en dette ». Cette parenté se manifeste tantôt dans le fait que « devoir » employé absolument est l'équivalent de « être redevable, être en dette », avec, le cas échéant, un complément substantif qui indique en quoi consiste la dette (« je dois cent francs ») ; tantôt, dans le nom même de la « dette », qui, de façon plus ou moins perceptible pour le locuteur non étymologiste, dérive du verbe « devoir » : la dette, c'est le « dû », ce qui est porté au « débit », le terme français « dette » continue le latin debitum qui lui-même, participe passé de debere, « devoir », s'emploie au sens de « dette ».
Dans la dette se combinent le devoir et la faute, connexion que met en évidence l'histoire des langues germaniques : l'allemand Schuld signifie à la fois « dette » et « faute », et schuldig, à la fois « coupable » et « débiteur ». Or Schuld dérive d'une forme gotique skuld qui elle-même se rattache à un verbe, skulan, « avoir l'obligation », « être en dette » (il traduit, dans l'Évangile, le verbe grec opheilō, qui a les deux acceptions) et aussi « être en faute ». D'autre part, du même radical germanique *skal, mais avec un autre traitement de l'initiale, dérivent le verbe allemand sollen, « devoir (faire) », et l'anglais shall qui, spécialisé aujourd'hui dans l'expression du futur, signifiait, à un stade plus ancien de la langue, « devoir » au sens plein (F. Kluge, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, 17e éd., Walter de Gruyter, Berlin, 1957, p. 683).
Des groupements de ce type, plus ou moins denses,[...]
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Écrit par
- Charles MALAMOUD : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
Classification
Média
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