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DETTE, anthropologie

Dette et devoir dans le vocabulaire sanscrit et dans la pensée brahmanique

Le terme sanscrit pour « dette » est le substantif neutre r̥ṇa. Il s'agit de la dette en tant qu'elle caractérise la condition du débiteur. Si, en effet, l'usage s'est établi en sanscrit classique de désigner le débiteur comme adhamarṇa, « celui qui est en position inférieure (adhama) par rapport à la dette », et le créancier comme uttamarṇa, « celui qui est en position supérieure (uttama) par rapport à la dette », il ne faut pas en conclure que le r̥ṇa est, de façon neutre en quelque sorte, la ligne qui sépare ou la relation qui unit le créancier et le débiteur. Plusieurs indices montrent que r̥ṇa est la dette vue du côté du débiteur, subie par le débiteur : d'abord cette règle de grammaire qui énonce que r̥ṇa est synonyme d'ādhamarṇya, « situation de débiteur, état d'endettement » ; ensuite, le fait que les dérivés r̥ṇin, r̥ṇika, r̥ṇavan, qui signifient proprement « possesseur d'une dette », s'appliquent toujours au débiteur, et à lui seul ; et surtout il faut rappeler que, dans le lexique de l'arithmétique, r̥ṇa est utilisé au sens de « moins », de « nombre négatif » (tandis que « plus », « nombre positif », se dit sva, littéralement « ce qui appartient en propre »).

La dette est donc perçue comme une lacune, un manque dans l'ensemble que forment la personne du débiteur et ses biens : payer sa dette, c'est combler ce vide que l'on porte en soi ou dont on est affecté et devenir complet. Cependant, la dette est aussi, et plus explicitement encore, traitée dans la phraséologie comme une gêne externe, entrave dont on cherche à se libérer. Le dieu qui, dans le Veda, tient emprisonné le débiteur qui ne s'est pas acquitté, c'est Varuṇa, dieu « lieur » par excellence : le nœud coulant de Varuṇa enserre le débiteur, tout prêt pour l'étrangler si, l'échéance venue, il ne peut payer ce qu'il doit. La dette est aussi un poids à la fois écrasant et inerte : c'est le terme kusīda qui exprime le mieux cette idée, bien que le sens propre de kusīda soit « dépôt » ; mais il y a des glissements très fréquents de r̥ṇa à kusīda, et, dans les textes les plus anciens, qui nous font connaître les prières que doit prononcer le débiteur pour obtenir d'être délivré de ses dettes, r̥ṇa et kusīda sont étroitement associés, et quasi synonymes : « Le dépôt qui est chez moi (ou : en moi) et que je n'ai pas restitué... de cette dette, Ô Agni, puissé-je être libéré ! »

Autour des notions de r̥ṇa et de kusīda, de la dette-défaut et du dépôt-fardeau, s'organisent les représentations qui ont trait à la relation créancier-débiteur. Ce qui frappe, c'est que cette relation apparaît toute constituée dès les premiers textes de la littérature sanscrite, les hymnes védiques. C'est en vain qu'on chercherait à déceler dans les occurrences les plus anciennes de r̥ṇa un sens moins technique, plus moral, qui serait par exemple « péché », ou « faute ». Le sanscrit védique dispose d'autres vocables pour nommer ces formes de mal ou de culpabilité. Ou, pour formuler les choses de façon plus précise et plus prudente : s'il est des passages ambigus, à propos desquels on peut hésiter entre « dette » et « faute » (« faire payer une dette » ou « châtier une faute »), il en est d'autres, tout aussi anciens, pour lesquels l'acception « dette » est indubitable. Ainsi R̥k-Saṃhitā, VIII, xlvii, 17 : « De même que nous réglons le seizième, le huitième, le r̥ṇa (tout entier)... ». Il est évidemment question ici de remboursements partiels successifs, mais il est remarquable que le mot que l'on traduit par « seizième » et qui signifie proprement[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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