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DETTE, anthropologie

Créanciers et débiteurs : le régime de la dette

De ces textes normatifs et narratifs, des commentaires et digestes qui n'ont pas cessé de développer, à l'époque médiévale, la matière des traités, des allusions qu'on peut trouver dans les œuvres littéraires et des enseignements que fournit l'épigraphie, il ressort que les règles particulières du régime de la dette ont évidemment varié au cours des siècles et suivant les régions : la tendance générale de l'évolution, avec le développement des transactions de tout ordre, du commerce maritime et caravanier, de l'économie monétaire, est que le créancier exige des taux d'intérêt de plus en plus élevés, mais surtout de plus en plus diversifiés suivant la nature du bien qui fait l'objet de la dette et le délai de remboursement. Des conditions toujours plus rigoureuses, et surtout plus précises sont formulées quant aux garanties que doit fournir l'emprunteur. Sont définies aussi les modalités de la transmission d'une dette, ou d'une créance, d'une génération à l'autre, et les peines encourues par le débiteur insolvable. Bien qu'on ne puisse donc parler d'un code unique de la dette qui serait valide pour toute l'histoire de l'Inde ancienne, quelques grands principes posés dans les premiers dharma-sūtra semblent informer de façon durable sinon la législation et la pratique effective, du moins l'idéologie. Tentons de les mettre en lumière, en portant notre attention sur des vocables essentiels.

1. Prêter à intérêt est un des sept moyens légitimes d'accroître ses biens, les six autres étant : hériter, trouver un trésor ou un objet précieux, acheter, gagner par conquête, recevoir le salaire d'un travail, accepter des dons de la part d'hommes vertueux. Bien entendu, ces sept moyens n'ont pas même dignité, et tous les hommes ne peuvent y recourir de la même manière. Si les trois premiers moyens sont accessibles aux membres de toutes les « classes » (varṇa) de la société brahmanique, le quatrième est réservé au varṇa des « guerriers » (kṣatriya), et le septième aux brahmanes. Le prêt à intérêt est une activité normale pour le varṇa des vaiśya, commerçants, agriculteurs, mais n'est permis aux brahmanes et aux kṣatriya qu'en période de détresse, comme, du reste, le travail manuel. La transgression commise par le brahmane prêteur est pardonnable (c'est-à-dire qu'elle n'entraîne pas perte de prestige, ni, a fortiori, exclusion de la caste) si l'intérêt qu'il perçoit est faible, s'il agit « en vue du dharma », pour avoir les moyens d'accomplir ses tâches religieuses, si l'emprunteur est de bas statut... Bref, le champ est ouvert à la casuistique, comme toujours lorsqu'il est question d'āpad-dharma, « conduite à tenir en période de détresse ».

2. Les intérêts ne peuvent excéder le principal. C'est la règle dite du dvaiguṇya, « doublement » (terme dont l'équivalent, dans les langues indo-aryennes modernes, est dāmdupat). L'action fécondante du temps s'arrête lorsque les intérêts sont devenus aussi importants que le capital. Cette règle a toujours été considérée comme une sorte de référence utopique. Elle n'est effectivement présente, dans les textes les plus anciens, qui sont aussi les plus favorables au débiteur, que pour les prêts d'argent. Dans la mesure où elle est respectée, elle a pour effet de ne laisser place qu'à des prêts à très court terme. Dès qu'ils s'écartent de cette norme idéale, les textes prescrivent des taux qui varient, comme on l'a vu, en fonction de la nature des biens en cause, mais aussi du varṇa des partenaires. Comme toutes les transactions, comme toutes les relations de la vie sociale, la dette est l'occasion, dans les textes de [...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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Média

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