DETTE PUBLIQUE
Historiquement, le problème de la dette publique est à l'origine de la science économique puisque « économie politique » signifie étymologiquement « gestion de l'État ». Les premières réflexions économiques, d'Aristote aux mercantilistes en passant par les scolastiques comme le franciscain Nicolas Oresme, se centrent toutefois presque exclusivement sur la monnaie. Les idées dominantes sur les finances royales sont simples et s'inscrivent dans une logique morale qui refuse toute forme de prêt, assimilé à l'usure. Saint Thomas, qui modère l'interdit du prêt, considère que le souverain doit quoi qu'il en soit se financer par la gestion de son domaine. Dans son Discours sur l'économie politique de 1755, Rousseau défend encore cette idée. Pourtant, à la même époque, la science économique prend son essor à partir de réflexions sur l'endettement des États. De Vauban, qui écrit un livre sur la fiscalité, à Turgot, qui fonde sa politique de contrôleur général des finances sur le retour à l'équilibre budgétaire, la force des premiers économistes scientifiques est de comprendre que le problème des finances publiques est celui, plus vaste, de la richesse du pays, de la capacité de sa population à supporter l'impôt et des rapports que l'État, par ses emprunts, entretient avec le monde des prêteurs.
C'est que, face à des dépenses de plus en plus lourdes, les États ont fini par ignorer les préceptes de saint Thomas et de Rousseau. Et ils ont trouvé des économistes pour les approuver. Si John Maynard Keynes et ses disciples symbolisent de nos jours la défense de la dette publique, déjà au xviiie siècle, des économistes comme l'Écossais James Steuart, le rival oublié d'Adam Smith, voyaient dans les emprunts de l'État un moyen de remettre en circulation les fonds thésaurisés par des épargnants peu enclins à les confier à des entreprises privées.
Définition de la dette publique
Pour analyser l'endettement public, il faut d'abord préciser ce que l'on entend par « public ». À l'origine, on assimilait dette publique et dette de l'État. Ce qui faisait la particularité de cette dette, c'est le rapport de l' État au temps. En principe, tout agent économique est contraint de rembourser ses dettes au moment de sa disparition. Mais l'État, qui est éternel, ne disparaît jamais, si bien qu'il n'a jamais à rembourser. Ce raisonnement a fait naître ce que naguère on appelait des « rentes perpétuelles », c'est-à-dire des titres publics qui donnaient le droit au versement d'un intérêt jusqu'à la fin des temps. Aujourd'hui, les rentes perpétuelles ont disparu mais chaque titre qui arrive à échéance donne lieu à un réemprunt immédiat.
Une nouvelle expression a fait en outre récemment son apparition, celle de « dette souveraine ». À strictement parler il s’agit d’un barbarisme provenant de l’expression anglaise sovereign debt, qui n’apporte rien à l’expression « dette publique », à laquelle nous nous cantonnerons donc.
Il y a là une différence considérable entre le public et le privé. Grâce à la comptabilité privée, les créanciers connaissent les capacités de remboursement des débiteurs. En cas de problème, c'est-à-dire quand une entreprise a consommé ses fonds propres, le créancier engage une procédure de mise en faillite qui lui permet de récupérer sa mise. Cette règle ne peut s'appliquer à l'État, qui est voué à l'éternité. La dette publique est donc celle des entités qui, directement comme l'État ou les collectivités locales, ou indirectement du fait de leur lien avec les précédentes, ne peuvent pas juridiquement être mises en faillite.
Malgré ce principe, les États de jadis se déclaraient en « banqueroute », laissant leurs créanciers[...]
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Écrit par
- Jean-Marc DANIEL : professeur émérite de sciences économiques, ESCP Europe
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Média
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