DEUTSCHE GRAMMOPHON
En 1887, Emile (ou Emil) Berliner, Allemand de Hanovre établi aux États-Unis, invente le disque. Il s'agit alors d'une galette de zinc, de douze centimètres de diamètre, tournant à 150 tours par minute. Ce disque offre une restitution sonore meilleure et plus durable que le cylindre d'Edison et, surtout, se prête à une fabrication en série. En 1894, Berliner fait breveter le « gramophone », instrument qui permet de lire les disques à l'aide d'abord d'une manivelle, puis d'un moteur à ressort. Enfin, en 1895, le zinc fait place à un alliage de fibres végétales, de poudre minérale, de gomme-laque et de noir de fumée. Ainsi, au moment même où il capte l'image en mouvement, le xixe siècle finissant réalise un autre grand rêve de l'humanité : pouvoir conserver la chère voix de ceux qui se sont tus.
Le support technique créé, restait à lui donner un but et une âme. Les premiers enregistrements se limitaient aux musiques du quotidien : fanfares et limonaires, beuglants et pétomanes. Aucun projet artistique ne le sous-tendait encore. C'est à cette fin que, le 24 novembre 1898, Jakob, Joseph et Manfred Berliner, agissant pour le compte d'Emile, créent une société à responsabilité limitée, dont le siège social est installé à Berlin, et l'usine à Hanovre : la Deutsche Grammophon GmbH. La finalité de cette firme va demeurer inchangée durant un siècle : mettre les techniques d'enregistrement les plus modernes au service des plus grands interprètes.
Mais quels interprètes ? Le spectre sonore réduit du disque se prêtait mal à la captation d'orchestres (l'enregistrement, en 1913, de l'intégralité de la Cinquième Symphonie de Beethoven par Arthur Nikisch à la tête de la Philharmonie de Berlin, fut une exception en même temps qu'une première). Sa brièveté (2 minutes) était mal appropriée au répertoire de piano : Eugène D'Albert et Alfred Grünfeld ne purent graver que des piécettes.
Restait la voix. Non seulement sa fréquence s'accordait aux moyens techniques existants, mais un air d'opéra ou un lied pouvait se suffire d'une face de disque. En outre, les comédiens et les chanteurs d'alors, adulés à l'égal de dieux vivants, pouvaient mettre leur charisme au service du disque naissant. Des ponts d'or leur furent offerts. Certains refusèrent, comme Jean De Reszké, outré par la haute infidélité de sa voix enregistrée. Mais Sarah Bernhardt, Mounet-Sully, la Melba, le jeune Caruso, Francesco Tamagno, créateur d'Otello, Victor Maurel, créateur de Falstaff, et bien d'autres, mesurèrent l'importance du legs discographique que la Deutsche Grammophon leur offrait soudain de laisser. Non sans hésitation : à l'entrée du studio, Chaliapine se signait, comme si on allait lui arracher l'âme ! Ainsi, d'emblée, le disque assumait sa mission la plus noble : conserver une part du patrimoine culturel et constituer une mémoire sonore. La meilleure illustration en est l'Ave Maria gravé en 1903 par Alessandro Moreschi, dernier castrat de la chapelle vaticane, trace sauvée de l'oubli d'un monde vocal perdu.
En 1903 apparaît le 78-tours. En 1909, l'ange qui illustrait les premiers enregistrements de Deutsche Grammophon fait place au chien Nipper, emblème de His Master's Voice. Puis vient la Première Guerre mondiale. Filiale de la Gramophon londonienne, la Deutsche Grammophon est confisquée par le gouvernement allemand. Polyphon-Musikwerke, une firme de Leipzig, la rachète en 1924 avant d'être elle-même, en 1932, intégrée dans la Deutsche Grammophon AG. La société, un moment réapparue sous la marque Polydor, retrouve ainsi son nom d'origine. En 1937, Deutsche Grammophon AG est remplacée par Deutsche Grammophon GmbH, dont les actionnaires sont la Deutsche Bank et Telefunken. En 1941, elle devient la propriété[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média