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DEUX ANS, HUIT MOIS ET VINGT-HUIT NUITS (S. Rushdie) Fiche de lecture

Une fable pour notre temps

Dans ce roman complexe, hybride, et comme dans les Mille et Une Nuits, les histoires s’emboîtent les unes dans les autres à l’infini. Conte « magique » et surnaturel, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits est aussi un roman à clés, où l’on identifie aisément des pays, un président dont les actes ne sont pas toujours en relation avec ses paroles (Obama), ou encore les nationalistes hindous qui ont pris le pouvoir en Inde, même s’ils sont désignés uniquement par des initiales ou des allusions obliques. Roman de science-fiction, le livre renoue avec l’univers de Grimus, première œuvre de Rushdie, et ses références à la Conférence des oiseaux du poète persan ‘Aṭṭār. Mêlant fantaisie et histoire, mythologie et conte de fées, il imbrique les super-héros américains des comics et les déités mythologiques, comme dans Les Enfants de minuit, tout en mettant en scène, à la manière d’un film catastrophe, les conséquences du réchauffement climatique sur la ville de New York. La virtuosité du récit, sa capacité à se transformer, à changer de genre et de ton, et la façon dont une histoire cède à toute vitesse la place à une autre reflètent les éléments narratifs liés à la transformation éclair des djinns en animaux, objets ou éléments qui se livrent une bataille acharnée. Comme dans Grimus, les relations entre les mondes et les dimensions sont une métaphore d’un voyage intérieur qui permet de reconnaître dans les djinns sombres la part obscure que chacun porte en soi. Le traitement des thèmes, souvent très comique, parfois grand-guignolesque, n’exclut pas la dénonciation de toutes les formes de fondamentalisme. On retrouve aussi la façon imaginative dont Rushdie sait mettre en scène sa propre vie : ici, il rend hommage au philosophe dont son père avait choisi d’adopter le nom ; et le personnage de Hugo Casterbridge, confronté au mépris de la police et aux foules violentes, constitue un alter ego de l’écrivain traqué au temps de la fatwa lancée contre lui par l’imam Khomeyni. Quant à Dunia, elle est, comme l’Insultana Soraya dans Luka, une figure pleine de ressources, illustrant les convictions féministes de l’auteur : il lui a fallu surmonter le mépris de son propre père pour les femmes, et les entraves du patriarcat. Rushdie plaide ici encore une fois pour la victoire de la raison sur la déraison. Ce roman, où se déploient ses talents de conteur et sa verve picaresque, ressemble à ses autres livres tout en les renouvelant, rappelant inlassablement la puissance des contes et la nécessité de les réinventer, encore et toujours.

— Catherine PESSO-MIQUEL

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