DEUX JOURS, UNE NUIT (J.-P. et L. Dardenne)
Malgré son absence remarquée au palmarès du 67e festival de Cannes, Deux Jours, une nuit (2014) a reçu un excellent accueil critique et public. Ce succès tient en premier lieu au fait que le film aborde de front une peur sociale omniprésente dans le monde développé : la précarité de l’emploi, la crainte du chômage et l’angoisse de la marginalisation.
Une forme de distanciation
La direction de l’usine de panneaux solaire Solwal, en Wallonie, a profité du congé de Sandra, dépressive, pour proposer aux seize ouvriers de choisir entre la transformation de son poste de CDD en CDI et le maintien pour tous d’une prime de 1 000 euros. La jeune femme obtient miraculeusement qu’un nouveau vote ait lieu, mais il va lui falloir convaincre quatorze de ses collègues de voter en faveur de son maintien, et donc contre la prime. Deux Jours, une nuit se situe d’abord sur le plan social et politique, évoquant directement ou implicitement les effets du capitalisme libéral et de la mondialisation. L’idée du film est née d’un chapitre du livre-enquête de Pierre Bourdieu, La Misère du monde (1993). Dans une situation proche, Hamid, délégué C.G.T. à Sochaux (Peugeot C.S.A.), y faisait le constat amer de la décomposition de l’ancienne solidarité ouvrière.
Depuis La Promesse (1996), on connaît la précision et la rigueur des frères Dardenne dans la recherche de la vérité des décors, des situations, des gestes, des mots, de la vie quotidienne. Pourtant, malgré la « porosité » (Luc Dardenne) du sujet avec son époque, on ne trouve pas en exergue du film l’avertissement aujourd’hui si fréquent : « ce film est tiré d’une histoire vraie ». La présence d’une star, Marion Cotillard, – comme ce fut déjà le cas de Cécile de France dans Le Gamin au vélo (2011) –, pour interpréter le rôle de l’héroïne, Sandra, permet d’éviter l’écueil du naturalisme, voire du « document », et du chantage au « vécu ». Lorsque les faits sur lesquels se fonde le récit d’un film sont ainsi certifiés authentiques, et si l’interprète et le personnage se confondent, le spectateur n’a d’autre choix que d’accepter sans discussion ni réflexion ce qui lui est proposé. Ici, au contraire, derrière le visage de Sandra transparaît toujours dans notre mémoire ou notre inconscient celui de la star Marion Cotillard et du rôle légendaire qui lui est attaché, celui de « la môme Piaf ». Cet aspect mythique contamine alors la question du vote des ouvriers de Solwal et modifie notre interrogation sur le sort de Sandra : ce n’est plus un cas unique, une exception dont chacun pourrait ensuite se détourner, mais un exemple proposé à notre libre interrogation.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média