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DÉVELOPPEMENT COGNITIF ET CÉRÉBRAL EN CAS DE CÉCITÉ

Une question fondamentale des neurosciences cognitives est de savoir comment la génétique et l’expérience contribuent au développement des fonctions cognitives et cérébrales. Cependant, il n’est pas facile de distinguer les rôles respectifs des contraintes biologiques et de l’expérience dans ce développement, car la plupart des humains partagent la grande majorité de leurs gènes et de nombreux aspects de leur environnement. L’étude des individus qui vivent des expériences atypiques peut fournir des informations importantes sur les mécanismes qui forment la cognition humaine. La cécité, en particulier, a longtemps été utilisée comme modèle pour étudier comment une expérience sensorielle différente influence l’architecture et le fonctionnement neurocognitifs. Quelles sont les conséquences de la privation visuelle sur le développement de l’esprit et du cerveau ? Comment les personnes aveugles parviennent-elles à se représenter des concepts abstraits et quel est le format de ces concepts ? Parallèlement au développement des neurosciences cognitives, les études évaluant le format des représentations cognitives et la plasticité cérébrale chez la personne aveugle ont donné lieu à un nombre croissant de recherches.

L’impact de la cécité sur les représentations mentales

Différences quantitatives

La vision est une modalité sensorielle prédominante pour nos interactions avec l’environnement. Au cours de nos déplacements, elle est continuellement intégrée aux signaux auditifs et proprioceptifs que nous percevons. Étant donné le rôle crucial joué par la vision dans le traitement de l’espace, l’étude du traitement spatial chez les aveugles a fait l’objet de nombreuses recherches. La question primordiale est de savoir si la vision constitue un outil nécessaire pour le développement normal des capacités de traitement de l’espace. Alternativement, l’absence de ce système perceptif pourrait permettre l’utilisation de stratégies compensatoires afin de pallier le déficit visuel. Les premiers travaux sur les conséquences de l’absence de vision ont suggéré que celle-ci pouvait être préjudiciable au développement des capacités spatiales. Cependant, des études plus récentes ont montré que les personnes non voyantes étaient capables de traiter du matériel spatial non visuel aussi bien, voire mieux dans certaines circonstances, que les personnes voyantes. Deux hypothèses ont alors été avancées : une « théorie du déficit » et une « théorie compensatoire ».

La théorie du déficit suppose que la vision est particulièrement importante pour se représenter l’espace qui nous entoure. Dès lors, la perte de vision conduirait à des déficiences de la représentation spatiale. Cette théorie a trouvé des éléments de confirmation aussi bien chez les voyants que chez les malvoyants. En effet, lorsque des sujets voyants doivent localiser une source sonore, ils sont plus précis lorsqu’ils réalisent la tâche les yeux ouverts que lorsqu’ils la réalisent les yeux bandés. Par ailleurs, lorsqu’une source sonore est visuellement déplacée, la localisation du son qui s’ensuit est erronément associée au stimulus visuel et non à la source sonore. Un exemple connu de ce phénomène de capture visuelle est l’effet ventriloque. Parler avec des lèvres statiques et bouger en même temps la bouche d’une marionnette provoque la sensation que c’est la marionnette qui produit la voix et non le ventriloque. L’absence de vision pourrait donc retarder ou fortement affaiblir le développement des représentations spatiales auditives et proprioceptives. En accord avec cette idée, certaines études ont montré que les personnes aveugles présentaient des difficultés pour localiser des sons statiques et évaluer des distances de manière auditive.

La théorie de la compensation reconnaît le rôle important de la vision dans le calibrage[...]

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Écrit par

  • : chercheur qualifié au Fonds de la recherche scientifique de Belgique, professeur à l'université catholique de Louvain (Belgique)
  • : chercheuse post-doctorante

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Test de jugement d’ordre temporel - crédits : Encyclopædia Universalis France

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