DÉVELOPPEMENT DU RAISONNEMENT
Les approches modernes et les capacités du jeune enfant
Les travaux des psychologues à partir des années 1970 du siècle dernier remettront doublement en cause cette conception. Il apparaîtra, d’une part, que les capacités des jeunes enfants d’âge préscolaire sont nettement supérieures à ce que supposait Piaget et que, d’autre part, la pensée adulte est beaucoup moins logique et rationnelle qu’on ne l’avait toujours supposé. Ainsi, la compréhension des relations causales et des principes qui les fondent serait-elle à la disposition des enfants de quatre ou cinq ans, de même que des formes de raisonnement que Piaget réservait à l’adolescent et à l’adulte comme le raisonnement par analogie. Même dans le domaine du raisonnement déductif, on observera chez les jeunes enfants des capacités à produire des inférences correctes, à résoudre des syllogismes, ou encore à conduire des raisonnements contrefactuels pour peu que ceux-ci soient introduits par le biais de scénarii de fantaisie aidant l’enfant à tenir à l’écart ses connaissances du monde (par ex., à partir des prémisses « tous les poissons vivent dans les arbres ; Tot est un poisson » évaluer la conclusion « Tot vit dans un arbre »). Pour rendre compte de ces capacités précoces, certains auteurs comme Martin Braine ont supposé l’existence, chez les êtres humains, d’une logique mentale composée de schémas d’inférences s’appliquant à la forme syntaxique des énoncés et permettant d’en déduire des conclusions (par ex., lorsqu’on dispose d’informations de la forme « a est vrai ou b est vrai », et « b est faux », une règle produirait une conclusion de la forme « a est vrai »). Ces règles, innées pour la plupart, constitueraient une logique élémentaire guidant les raisonnements des enfants dès leur plus jeune âge. D’autres, comme Patricia Cheng et Keith Holyoak, ont supposé que ces règles étaient non pas innées mais abstraites à partir de situations sociales auxquelles l’enfant se trouve confronté de manière répétée, telles que les situations de permission ou d’obligation (« si tu veux aller jouer dans le jardin, tu dois mettre ton manteau »). Les schémas pragmatiques de raisonnement qui en seraient issus organiseraient la pensée de l’enfant et lui permettraient de produire des inférences correctes et de se comporter de manière adaptée dans son environnement.
Toutefois, les règles supposées par les théories de la logique mentale demeuraient relativement insensibles aux contenus, alors qu’il devenait de plus en plus évident que ceux-ci ont un impact important sur le raisonnement, et en premier lieu sur celui des enfants. En réaction aux théories de la logique mentale, la théorie des modèles mentaux de Philip Johnson-Laird conçoit le raisonnement comme un processus non pas syntaxique, mais sémantique. Le raisonnement serait permis par la construction et la manipulation de représentations des états possibles du monde compte tenu des informations dont le sujet dispose. Cette théorie, qui suppose qu’il n’existe pas de logique dans l’esprit humain, rend compte du développement par la capacité croissante avec l’âge à construire des modèles mentaux toujours plus complets et à envisager les possibilités alternatives à celles initialement envisagées de manière toujours plus exhaustive.
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Écrit par
- Pierre BARROUILLET : professeur ordinaire, université de Genève (Suisse)
Classification
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