DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL Sociologie
Structures et processus
Avant de considérer les aspects généraux des sociétés du Tiers Monde, et les problèmes que leur transformation en conformité avec l'ordre industriel impose de résoudre, il convient de manifester leur position singulière. En premier lieu, parce que chacune des grandes périodes de l'industrialisation a fait surgir des sociétés différenciées, à régimes économiques et politiques différents et largement antagonistes. La première vague d'industrialisation est celle qui prit naissance en Europe occidentale et s'est répandue dans certaines de ses dépendances : elle a porté le capitalisme et le néo-capitalisme ; la seconde apparaît avec l'avènement du « socialisme réalisé » en U.R.S.S., qui implique l'exaltation des valeurs techniques et de l'activité productive tout autant que celle des valeurs collectivistes : elle tend à recouvrir la précédente ; la troisième vient de naître dans les régions en développement : elle semble porteuse de formes nouvelles de l'économie et de la société. En dehors de ce fait que les phases de l'industrialisation ne se répètent pas interviennent les différenciations qui tiennent à l'histoire et à l'héritage culturel spécifique des pays prédéveloppés. Chacun d'entre eux, même s'il se veut révolutionnaire et en rupture avec son passé, traduit la civilisation industrielle dans le langage de sa tradition.
Les facteurs de transformation
Les facteurs de transformation des sociétés en développement sont bien connus. Deux processus dominants se trouvent partiellement associés : l'accession aux techniques complexes et l'industrialisation, et corrélativement le progrès des cités et de la culture urbaine. Tous deux sont créateurs d'inégalités régionales, dans la mesure même où ils établissent des îlots de modernisme au sein de vastes espaces ruraux peu affectés par le changement ; ce qui entraîne, selon la formule de l'économiste A. Piatier, « une prolétarisation par classes géographiques ou spatiales ». Le deuxième générateur de transformations profondes est la nouvelle organisation de la vie politique mise en place à la faveur des indépendances récentes ; avec d'autant plus d'intensité que ces dernières imposent, au moins durant un temps, une suprématie du politique. Les particularismes, propices au maintien des traditions, doivent s'effacer devant les exigences de la construction nationale, et celle-ci assure le renforcement de la bureaucratie moderne, en même temps qu'elle provoque la formation d'une classe de gestionnaires. Ainsi saisit-on comment les forces de maintien sont atteintes dans leurs assises, et dans leur action, à la suite de l'affaiblissement des gardiens du traditionalisme. Enfin, le troisième agent des changements doit être reconnu sous un aspect multiple : dans les conditions nouvelles de l'éducation, les formes nouvelles du savoir, la diffusion des mass media. En raison de leur mise en réseaux liés, ces dernières provoquent une véritable révolution par l'information.
Dans le cas des sociétés en développement, une caractéristique paraît aussi spécifique que cette addition des facteurs de changement rapide : la dépendance. Les moyens de la modernité sont importés, dans une large mesure, sous forme de capitaux, de biens d'équipement, de techniques, de modes de consommation, de modèles institutionnels. Cette dépendance, résultant de l'histoire, a pu être imputée à la nature même des sociétés qui la supportent. Déjà Auguste Comte, dans une des leçons du Cours, envisage la capacité de changement, la possibilité d'échapper à la répétition, et en conséquence le « progrès », comme une propriété de la seule civilisation occidentale. Max Weber attribue à la « rationalisation » et à l'efficacité, propres à la société moderne[...]
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Écrit par
- Georges BALANDIER : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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Média
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