DEVENIR
Tout devient. Il n'est guère de notion plus ample et plus essentielle que celle du devenir. L'homme moderne est fasciné par le spectacle de la diversité et du changement dans la nature, dans la pensée, dans la vie humaine : « Partout la cohue la plus bigarrée ; quand une chose disparaît, une autre prend aussitôt sa place » (Hegel). L'accélération de l'histoire rend plus sensible cette fluidité du réel, au détriment de ses aspects relativement stables.
Chacun constate le devenir. Mais qui dira ce qu'il est ? Les efforts pour le comprendre rencontrent des difficultés remarquables. Souvent, faute de pouvoir le définir adéquatement, on ne le désigne que partiellement, en renvoyant à l'une de ses modalités concrètes : mouvement, altération, évolution...
Cet embarras incite parfois des philosophes à nier l'existence effective du devenir, ainsi que des objets qu'il affecte, et à ne les tenir que pour de simples apparences, la réalité se trouvant tout entière détenue par l'être dispensé du devenir, l'être permanent. Mais ne faut-il pas alors exiler celui-ci dans un au-delà inaccessible, loin du monde concret où tout naît et périt ?
Même si on le réduisait indûment à n'être qu'une apparence, le devenir susciterait encore l'interrogation. La variété de ses formes invite à mettre en question l'unité de son principe, à rechercher les conditions de sa possibilité et de son intelligibilité. On indiquera ici quelques-unes des directions dans lesquelles peut s'engager la recherche.
La diversité du devenir
Le concept d'un devenir unique et continu est-il justifiable ? En fait, dans les champs d'observation et de réflexion qui s'offrent à l'homme, se détachent de multiples objets dispersés, qualitativement différents, et qui se distinguent précisément par leurs changements spécifiques.
La spécificité des changements
Chaque être a sa manière propre de naître, de se développer et de périr. Les modalités du changement paraissent donc très discordantes. Les changements de type mécanique, chimique, biologique ou historique ne peuvent ni se confondre entre eux, ni se réduire les uns aux autres. Ainsi, la naissance d'un enfant ne consiste pas simplement en un changement de place !
Chaque type de changement se différencie à son tour en de nombreuses variétés : un déplacement n'est pas un renversement, un déménagement n'est pas une bousculade...
Les changements, continuels, n'excluent pas une stabilité relative. Une civilisation ne meurt que parce qu'elle a d'abord duré. La permanence d'objets définissables peut être comprise comme un changement plus lent que celui de ses témoins, ou comme l'équilibre momentané de changements opposés les uns aux autres.
L'activité humaine parvient à fixer provisoirement des systèmes artificiels, clos et protégés (machines, montages expérimentaux, etc.). Ils consistent en une connexion de changements ou d'équilibres internes. À la longue, le devenir universel les dissout ou les emporte.
Certains philosophes saisissent le devenir comme un absolu inanalysable. Bergson, par exemple, l'assimile à la durée pure : qualitatif, il resterait étranger à toute mesure et rebelle à tout usage.
Mais Bergson lui-même, quand il en traite, évite-t-il de le fractionner en mouvements parcellaires et d'y découper des objets déterminés (le mouvement d'une main) ? Pour laisser intact un devenir absolument continu, il faudrait s'abstenir d'en rien dire et d'y rien faire.
Notre époque ne se contente ni de la seule contemplation ni d'une activité restreinte au domaine des choses géométriquement stables. Elle prétend agir sur les changements eux-mêmes : hâter les maturations, infléchir les évolutions (en particulier l'évolution humaine). Elle ne consent pas à attendre patiemment,[...]
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Écrit par
- Jacques d' HONDT : professeur émérite à l'université de Poitiers
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