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DEVENIR

Devenir et dialectique

La pensée du devenir est passée, au cours de l'histoire, par des avatars contradictoires, et elle compose un processus, un moment du devenir universel. Même, cet enchaînement d'attitudes changeantes à l'égard du devenir fournit un modèle du devenir en général, parce qu'il intègre ses moments opposés à une totalité dynamique. Le devenir de la pensée enseigne à penser tout devenir : dialectiquement.

La dévaluation philosophique du devenir

En général, la philosophie classique s'est défiée du devenir ; elle a tenté de le prohiber ou de le dénaturer. Le plus souvent, il n'a pénétré dans les systèmes que contre l'intention de leurs auteurs, comme en fraude.

Certes, au départ de la philosophie occidentale, Héraclite s'est fait le philosophe du devenir : « Tout coule, proclamait-il, l'homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ! » La notion du devenir connaîtra beaucoup plus tard, au xixe siècle, une élaboration abstraite très minutieuse, et, par comparaison, la pensée d'Héraclite peut paraître naïve. Cependant, Héraclite discernait dans le changement la contradictorialité interne qui en est la condition et le moteur ; il reconnaissait le néant comme abstraction valable. Aussi Hegel ne craint-il pas d'affirmer : « Il n'y a pas une proposition d'Héraclite que je n'aie reprise dans ma logique. »

Entre-temps, et malgré quelques concessions inévitables, c'est surtout contre cette pensée héraclitéenne du devenir que la métaphysique s'est édifiée.

Au nom d'une logique que Hegel qualifie de « logique de l'entendement », une logique du bon sens qui établit un accord facile entre les idées fixées, d'une part, et entre ces idées et les objets déterminés et mis en œuvre par une technique encore rudimentaire, d'autre part, les Éléates nièrent, non pas le devenir, trop évident, mais sa valeur et son intelligibilité : ils l'abaissèrent au rang de simple apparence et voulurent préserver toute essence de sa contamination. Les Éléates admettaient que le devenir implique à la fois l'être et le néant, mais ils déniaient au néant toute possibilité d'être et parvenaient ainsi à justifier, du moins formellement, leur refus du devenir : « L'être est ; le non-être n'est pas », prétendait Parménide.

En conséquence, les Éléates posaient, au-delà du devenir sensible, et donc du monde concret, l'Être qui se garde pur de tout néant, l'Être absolument stable, immobile et éternel. L'un d'entre eux, Zénon, mit en évidence les antinomies auxquelles on aboutit lorsque l'on tente de penser le mouvement selon les exigences de la logique non dialectique. Sans le vouloir, il révélait ce qui sera le principe de toute logique dialectique : la reconnaissance de la contradiction incluse dans tout changement, dans toute réalité, dans toute pensée.

Paradoxalement, comme l'a remarqué Hegel et comme l'avait senti Platon, Zénon, en chassant le devenir de l'essence pensée, effectuait une opération intellectuelle, et accueillait donc subrepticement le devenir dans la pensée elle-même, avec ses contradictions immanentes.

On peut s'interroger sur les causes de la contestation du devenir par de nombreux philosophes classiques, à la suite des Éléates. Résulte-t-elle d'exigences logiques autonomes, ou bien n'est-ce pas le besoin d'exclure le devenir qui se pourvoit d'une logique docile ? Ce besoin n'aurait-il pas lui-même des racines idéologiques ? La négation du devenir est un encouragement et une justification pour les attitudes socialement et scientifiquement conservatrices.

Cette négation comporte d'ailleurs une part de vérité, et elle a fait preuve d'une grande fécondité. En prélevant partialement un aspect du réel, elle en favorise[...]

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