DEVOIR
Le devoir désigne une action en tant qu'elle est non seulement justifiée mais exigible d'un point de vue moral. En ce sens, le devoir est distinct de la contrainte puisqu'il n'est pas l'effet mécanique d'une pression sur la volonté mais l'expression d'une obligation conçue et acceptée comme telle par le sujet agissant. Toute la difficulté, pour ce dernier, réside alors dans l'articulation entre la généralité du devoir et la particularité des circonstances de l'action concrète. Le problème philosophique du devoir est celui de son origine (métaphysique, rationnelle, affective) et des modalités de sa définition : sommes-nous toujours conscients de notre devoir ? Un conflit est-il possible entre des devoirs concurrents mais doués chacun de la même valeur morale ? Il s'agit d'un problème qui dépasse le cadre strict de l'éthique puisque l'idée de devoir renvoie aussi à celle d'un « devoir être », c'est-à-dire à une inadéquation entre le réel et l'idéal dont il reste à fonder la pertinence.
Si, dans l'histoire de la philosophiemorale, l'importance du devoir apparaît surtout avec Kant (« Devoir ! mot grand et sublime »), une réflexion sur ce thème se trouve déjà engagée par les stoïciens. Absent des éthiques socratique comme aristotélicienne, qui sont davantage retenues par le concept de « vertu », le devoir est compris par Cicéron comme une forme de convenance et de rectitude dans l'action (De officiis). De ce point de vue, il ne renvoie pas spécifiquement à l'homme, puisque tous les êtres possèdent une destination qui leur est propre. Surtout, le devoir n'est rien d'autre que la conformité d'une chose à sa nature et, plus généralement, à la « loi naturelle » qui est celle du cosmos. En ce sens, il n'y a nulle rupture entre ce qui est et ce qui doit être, mais seulement une opposition entre les désirs déréglés et la raison. Le christianisme présente une doctrine des devoirs plus spécifiée puisqu'il distingue entre les devoirs envers Dieu, les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui. Mais, là encore, la définition des devoirs de l'homme ne suppose pas l'opposition entre l'être et le devoir-être, puisque c'est la convenance entre nos actes et les intentions de Dieu qui fait l'essence du devoir.
Si le moment kantien est aussi décisif pour la pensée du devoir, c'est parce que l'importance morale de ce concept est liée à l'affirmation d'un abîme entre le fait et la norme, la nature et la raison. Le devoir (Pflicht) dont a conscience le sujet moral est à la source d'une pensée du « devoir être » (Sollen). Kant commence par distinguer entre une action qui est simplement « conforme au devoir », c'est-à-dire qui en adopte toutes les apparences de rationalité, et une action réalisée « par devoir » et qui est la seule à pouvoir être déclarée morale car le devoir est son unique motif. Agir « par devoir » n'implique aucune considération du but de l'action, ni de ses conséquences pour soi et pour les autres ; il s'agit seulement de soumettre sa « maxime » – sa règle subjective d'action – au critère de l'universalisation fourni par la raison pratique. Cette théorie du devoir s'oppose aussi bien aux morales du sentiment qu'aux éthiques utilitaristes qui font des conséquences de l'action le critère de sa rectitude. Pour Kant, il s'agit bien plutôt d'agir par respect pour la loi : fiat justitia pereat mundus (« que la justice soit, le monde dût-il en périr »).
On comprend alors pourquoi « la majesté du devoir n'a rien à voir avec les jouissances de la vie ; elle a sa loi propre, elle a aussi son propre tribunal » (Critique de la raison pratique, 1788). Concernant[...]
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Écrit par
- Michaël FOESSEL : professeur à l'université de Washington (États-Unis)
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