KOSZTOLÁNYI DEZSÖ (1885-1936)
Multiple et insaisissable, l'œuvre de Dezso″ Kosztolányi, cet esthète entre tous, tire son originalité et son charme de l'abandon spontané aux paradoxes de l'esprit et de l'âme. Classicisme et impressionnisme, frénésie et tendresse, volonté de puissance et solidarité humaine alternent et s'organisent en une synthèse de clarté souriante chez l'Ariel des lettres hongroises, dont le talent s'illustra dans presque tous les domaines de l'activité littéraire. Il joua un rôle capital d'innovateur dans le mouvement occidentaliste de son pays, mais en défendant, à l'heure des engagements politiques, la pureté de l'écriture, il finit par s'affirmer comme le gardien d'un individualisme dépassé.
Au-delà des querelles de tendances et de doctrines, l'univers de Kosztolányi continue cependant de séduire en révélant un tempérament incandescent, attaché tout entier à la célébration des richesses de la vie, richesses qu'une lucidité stoïque oblige à envisager comme autant de masques diaprés du néant. Ce désespoir héroïque a su mettre à son service un style limpide, nerveux, toujours pertinent, dont l'exemplaire équilibre entre la vision concrète et la suggestion spirituelle situe l'auteur parmi les grands maîtres du langage.
Un champion de l'occidentalisme
Depuis la publication des lettres échangées entre Kosztolányi et ses amis de jeunesse, Mihály Babits et Gyula Juhász, les sources livresques, innombrables, sont plus ou moins identifiées. À ces étudiants ambitieux de la faculté des lettres de Budapest (Kosztolányi y fut inscrit entre 1903 et 1906, mais en 1905-1906, il suivit les cours de philosophie de l'université de Vienne), le monde s'offrait comme une immense littérature. À la recherche d'affinités modernes, ils s'orientèrent vers les parnassiens, les symbolistes et leurs héritiers, qui, d'emblée, devinrent pour eux une famille d'élection. Ce fut naturellement la rupture avec l'inspiration collective léguée par la tradition hongroise et dégénérée, d'ailleurs, en académisme stérile : le règne de l'introspection commença, sous l'éclairage triple des idées de Schopenhauer, de Nietzsche et de Freud : le moi et ses mystères occupèrent le devant de la scène et, dans leur agencement nouveau fondé sur l'alchimie verbale, les moyens d'expression du vers se livrèrent joyeusement à l'évocation des attitudes les plus insolites. Après avoir subi l'influence de ce contact avec un demi-siècle de sensibilité européenne (son premier recueil, au titre à la Des Esseintes : Entre quatre murs[Négy fal között, 1907], en fut le témoignage éclectique), Kosztolányi se proposa de mettre ses découvertes à la portée de ses compatriotes : composée de plusieurs centaines de poèmes, surtout anglais, allemands, belges, italiens et français, son anthologie Modern Költők (Poètes modernes, 1913, revue et augmentée en 1921), tout en illustrant la virtuosité de l'adaptateur, amateur de « belles infidèles », constitua en Hongrie le premier panorama international des manifestations du « frisson nouveau », de Poe à Baudelaire et de Verhaeren à Rilke.
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Écrit par
- André KARATSON : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Lille
Classification
Autres références
-
HONGRIE
- Écrit par Jean BÉRENGER , Lorant CZIGANY , Encyclopædia Universalis , Albert GYERGYAI , Pierre KENDE , Edith LHOMEL , Marie-Claude MAUREL et Fridrun RINNER
- 32 134 mots
- 19 médias
...reste comme la chronique héroïque d'une vie, d'une morale altière et d'une qualité de contact qui fit de son foyer le salon d'un Mallarmé hongrois. Dezső Kosztolányi (1885-1936) semble être son contraire : souriant, souple, toujours jeune, étourdissant d'invention, de variété et de fraîcheur. Maître inimitable...