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DHEEPAN (J. Audiard)

Surprenante palme d’or au festival de Cannes 2015, Dheepan, septième film de Jacques Audiard, suit Un prophète (2009) et De rouille et d’os (2012), deux grands succès critiques et publics qui ont consacré une carrière commencée en 1994 et composée d’œuvres toujours étonnantes, autant sur le plan des sujets, scénarios et personnages que par leurs tonalités contrastées. Adepte d’un cinéma de rupture, Audiard ne séduit pas cette fois par une esthétique et une narrativité très travaillées forçant l’admiration cinéphilique. C’est pourquoi Dheepan a déconcerté : la réception critique est divisée, le film fait débat chez les spectateurs.

L’homme qui n’aimait plus la guerre

Le projet initial était de « faire un remake des Chiens de paille dans une cité d’aujourd’hui » (J. Audiard, Positif n°655, septembre 2015). De fait, comme chez Sam Peckinpah (Strawdogs, 1971), le héros est un homme tranquille qui se transforme un jour en justicier sauvage pour sauver sa famille. Schéma commun à beaucoup de films américains (pas seulement des westerns, mais aussi des films de Clint Eastwood ou Martin Scorsese), lorsque le mal ne paraît plus pouvoir être vaincu que par le mal.

Le projet évolue au cours de l’écriture en collaboration avec deux jeunes cinéastes, Thomas Bidegain et Noé Debré, croisant le courant d’un certain cinéma français qui aborde aujourd’hui les questions de société : c’est le cas, en particulier, de La Loi du marché (S. Brizé) et de La Tête haute (E. Bercot) tournés dans la même période et présentés eux-aussi à Cannes. Pour creuser le thème de l’immigration, Jacques Audiard en vient à privilégier des méthodes de réalisation pour lui très inhabituelles. Il recourt ainsi à des non professionnels parlant la langue tamoule dans les trois rôles principaux : les formidables Antonythasan Jesuthasan (Dheepan), Kalieaswari Srinivasan (Yaline) et Claudine Vinasithamby (la petite Illayaal). Il privilégie aussi la légèreté au tournage (ce n’est pas du « direct », mais on pourrait le croire).

Un court pré-générique résume en un saisissant bûcher de cadavres l’écrasement des indépendantistes Tigres tamouls, vaincus par l’armée gouvernementale sri-lankaise en 2009. Un des Tigres rescapés arrache ses habits de guerrier et s’enfuit. C’est Dheepan, « l’homme qui n’aimait plus la guerre » selon le sous-titre du film, finalement supprimé. Pour faciliter son exil en Europe, un fonctionnaire arrangeant va alors former une famille de toutes pièces en lui adjoignant une femme seule et une jeune orpheline. Ils parviennent ainsi en France où Dheepan devient gardien d’une barre HLM dans une cité de la banlieue parisienne, tandis qu’une école spécialisée dans l’assimilation d’enfants d’immigrés accepte la fillette ; bientôt, Yaline trouve un emploi d’aide à la personne. Jacques Audiard s’attache, avec une chaleureuse douceur, à suivre pendant les deux tiers du film le difficile cheminement de la compréhension et de la (re)naissance des sentiments chez ces êtres fracassés par l’histoire.

Le tableau en mouvement est d’une extrême justesse (le baiser que réclame Illayaal à sa fausse mère comme il est d’usage chez les parents amenant leur enfant à l’école ; la nuit où, à l’abri derrière les vitres, le couple regarde « comme au cinéma », de l’autre côté du terrain vague, l’embrasement de la cité aux mains des dealers et des chefs de gangs). Dans un esprit documentaire d’adaptation à un milieu inconnu, la mosaïque de détails intimes construit progressivement une belle fable morale où chacun semble devoir trouver sa dignité et, partant, une identité et un sens à son existence. Mais, fidèle à son style, l’auteur tient à distance les deux caractéristiques du cinéma d’auteur actuel, à savoir le réalisme (cette facilité d’intégration dans une France idéale terre d’asile est totalement irréelle) et l’humanisme[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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