DIADORIM, João Guimarães Rosa Fiche de lecture
Diadorim (Grande sertão : veredas), l'unique roman de João Guimarães Rosa (1908-1967), est publié en 1956, dix ans après ses débuts en prose avec les contes novateurs de Sagarana. Dans ce texte majeur de la littérature brésilienne, Guimarães Rosa mène à bien une rénovation de la prose régionaliste qui, dans la décennie 1930-1940, était la tendance littéraire prédominante au Brésil. En défiant les modes traditionnels d'expression, ce texte dépasse le penchant habituel des romans régionalistes pour une figuration naturaliste et pittoresque. Il inaugure une expérience esthétique nouvelle, en faisant la synthèse entre enracinement tellurique et valeurs universelles par le biais d'une révolution formelle. Diadorim est un récit exceptionnellement raffiné, par les procédés techniques qu'il explore pour construire, à partir de l'univers réel et mythique de cette vaste région semi-aride de l'intérieur du Brésil – le sertão –, une fiction qui interroge le sens de la vie, en mettant en scène le drame de l'homme face à un monde chaotique.
Une épopée moderne
Guimarães Rosa s'appuie sur des thèmes et des motifs archaïques qui survivent dans les chants, les légendes et la littérature de colportage du sertão. L'écrivain incorpore le motif populaire de l'errance aventurière des jagunços (bandits ou justiciers de grands chemins), en soulignant les traits – duels, batailles, code d'honneur – qui le rapprochent des romans de chevalerie médiévaux. L'appropriation de cet imaginaire par l'écrivain est une affaire de langage, radicalement réinventé à partir des matrices archaïques, érudites ou populaires. La puissance verbale de cette prose poétique crée un univers où réalité et fantastique se confondent par le pouvoir incantatoire du langage.
Le récit s'ouvre sur le discours de Riobaldo, le narrateur-protagoniste, qui raconte sa vie pour essayer d'en retrouver le sens. Ce long monologue présuppose un dialogue, par la référence à un « Monsieur », destinataire à qui Riobaldo adresse ses paroles et livre son témoignage. Le discours de Riobaldo, vieux propriétaire terrien au présent de la narration, ancien jagunço et chef d'une des bandes armées du sertão, va lier étroitement le plan objectif de l'action avec un plan subjectif et métaphysique. Raconter est pour Riobaldo une façon de se mettre en quête d'un sens que la réalité quotidienne dissimule. La tension entre l'expérience vécue et le récit de cette expérience crée un texte fragmentaire, ambivalent. La polarisation d'éléments contradictoires – le bien et le mal, Dieu et le diable, l'amour et la haine – parcourt cette œuvre, à travers les réflexions de Riobaldo sur la vraie essence des choses. Enfin, la dialectique de l'être et du paraître va introduire le thème du masque, figuré par le personnage ambigu de Diadorim. Une ambiguïté est d'emblée suggérée par ce nom, qui peut s'appliquer indifféremment à un homme ou à une femme.
Diadorim est une femme qui se déguise en jagunço pour venger la mort de son père tué par Hermógenes, chef d'une bande de jagunços décrit comme le pire des brigands. La rencontre de Diadorim est déterminante pour le destin de Riobaldo qui, abandonnant sa fonction de « professeur » d'un chef de bande, devient lui-même jagunço. Mais Riobaldo est un jagunço « lettré », ce qui justifie la fluidité de son discours et ses préoccupations métaphysiques. La narration de la poursuite acharnée de Hermógenes, à laquelle se livrent ensemble Riobaldo et Diadorim, constitue le fil conducteur de l'action, qui permet au lecteur de pénétrer dans l'univers social, éthique et mythique du sertão. À cette poursuite se superpose l'allusion à un probable pacte avec le diable que Riobaldo aurait fait pour pouvoir mener à bien sa tâche de « renverser Hermógenes et nettoyer[...]
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Écrit par
- Rita OLIVIERI-GODET : maître de conférences, département d'études des pays de langue portugaise, Université de Paris-VIII
Classification
Autres références
-
BRÉSIL - La littérature
- Écrit par Mario CARELLI , Ronny A. LAWTON , Michel RIAUDEL et Pierre RIVAS
- 12 169 mots
...mais aussi avec l'appropriation de la langue et de l'imaginaire populaires, la matrice littéraire régionaliste a continué à porter bien des fruits. Ce courant fut transcendé par João Guimarães Rosa (1908-1967) et son roman total, Grande sertão : veredas (Diadorim, 1956). La vaste ambition de l'auteur...