DIALECTIQUE, notion de
La dialectique se conçoit, à l'origine, comme art du dialogue, c'est-à-dire comme mise en œuvre d'un dialogue effectif devant aboutir à un accord entre les interlocuteurs. Le but de cette entreprise est de parvenir au vrai, grâce à une mise à l'épreuve des arguments en présence. Comme l'exprime son étymologie grecque, qui associe les notions de discernement et d'échange à travers la discussion, la dialectique consiste dans la mise en commun avec autrui de ce logos qui est à la fois « discours » et « raison ». Si l'on remonte à la Grèce antique, notamment à Platon (428 env.-347 av. J.-C.), ainsi qu'au Moyen Âge, avec Pierre Abélard (1079-1142) et l'école scolastique, on remarque une assimilation des termes logique et dialectique : pour Platon, la dialectique correspond à ce que nous entendons aujourd'hui par logique, à savoir l'étude des conditions formelles du discours qui lui donnent une valeur de vérité ; ultérieurement, alors que, à la suite de Platon, Aristote a établi une distinction entre raisonnement dialectique et raisonnement logique, les philosophes stoïciens médiévaux rejettent, quant à eux, le terme logique au profit de celui de dialectique, qui correspond en fait au procédé logique de formation d'une argumentation. Aujourd'hui, la dialectique entre dans le champ de la communication interpersonnelle et se comprend comme la construction dialogique d'une relation. La multiplicité de ces acceptions, qui correspond sans doute à l'évolution de l'usage du terme au cours de l'histoire et des pratiques philosophiques, montre combien la compréhension de la notion de dialectique est complexe et nécessite d'être sortie de son ambiguïté.
Un art du dialogue
Pour Platon, la dialectique se caractérise par un jeu alterné de questions et de réponses qui conduit à découvrir la vérité. Elle relève à la fois d'un art du dialogue et d'une maïeutique des idées visant à atteindre le vrai, qui permet en retour de légitimer les éléments du monde sensible. C'est en ce sens qu'il est possible d'affirmer que la dialectique platonicienne correspond à un mouvement bilatéral : d'abord ascendant, puisqu'il part des choses et des sujets ordinaires pour s'élever aux Idées, c'est-à-dire aux choses en soi, à leur vérité ; ensuite descendant, dans la mesure où les Idées permettent de revenir aux choses et de mieux les comprendre telles qu'elles sont dans le monde commun. Cette accessibilité aux Idées mène selon Platon (Cratyle, 390-385 av. J.-C.) aux Idées fondamentales et premières du Bien et du Juste. C'est à partir de l'expérience du monde et des choses que ce processus dialectique est possible et peut mener à la réalité intelligible et supérieure. En ce sens, la dialectique correspond à la création d'une unité des choses (c'est-à-dire au moyen de comprendre leur essence) à partir de leur apparence. Seul le philosophe, parce qu'il est doué de raison, est capable de mettre à profit ce mouvement et peut se dire dialecticien, comme le montre Platon dans Le Sophiste (370-347 av. J.-C.), lorsqu'il précise que la dialectique n'est pas la possession du savoir en lui-même, mais le cheminement qui mène à lui. La dialectique platonicienne est le moyen de rétablir une ontologie fondée sur la vérité, qui permette de fournir des justifications irréfutables des choses.
Critiquant ce point de vue, Aristote (385 env.-322 av. J.-C.) considère que Platon confond dialectique et logique. C'est la logique qui s'applique véritablement à rechercher la vérité. La dialectique ne mène en revanche à aucune certitude, et correspond davantage à la construction d'un accord résultant de la confrontation d'opinions conflictuelles. De ce fait, la dialectique n'est pas une science, comme le prétend Platon,[...]
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Écrit par
- Marie GAUTIER : doctorat de philosophie et de communication, chargée d'enseignement de logique, pragmatique, philosophie de l'art, université de Paris-III et Institut catholique de Paris
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