DIALECTIQUE
Le champ conceptuel de la catégorie
L'histoire qu'on vient seulement de suivre (et pour connaître une histoire, il ne suffit pas de la suivre, de la raconter) nous a fait rencontrer un certain nombre de problèmes et de concepts liés à la catégorie de dialectique : il s'agit à présent de les distinguer et de les formuler pour eux-mêmes ; en tant que ses réquisits ou ses conditions, ils constituent le champ rationnel dans lequel s'inscrit la catégorie de dialectique, et en constituent la seule définition possible.
Forme et contenu
Le premier problème oppose les notions de contenu et de forme. On peut se demander si la dialectique est un processus réel, le procès même du réel – et alors celui-ci se reproduirait seulement par voie de conséquence au niveau de la méthode qui permet de l'appréhender et d'en rendre compte –, ou bien si elle est un moyen formel donné en dehors de tout rapport à un objet déterminé, et susceptible de recevoir n'importe quelle application. En ce sens, on hésitera entre une conception du dialectique (première possibilité) et une conception de la dialectique (deuxième possibilité) : on voit qu'à travers la catégorie de dialectique, c'est la question des rapports entre le réel et le pensé qui est posée.
Science et dialectique
Le second problème oppose les notions de science et d'art (ou de technique). On peut se demander si la dialectique suppose une connaissance théorique, fondée en raison, ou si elle est simplement une pratique empirique, coupée par négligence ou par destin de tout traitement théorique. Ce problème reproduit à son propre niveau les termes du précédent : si la dialectique a d'abord quelque chose à voir avec le réel, s'il y a du dialectique, celui-ci devient l'objet d'une connaissance réelle, rigoureuse et rationnelle ; si la dialectique est une forme sans contenu déterminé, elle risque au contraire de n'être qu'une méthode universelle, c'est-à-dire une technique, inapte par nature à rendre compte du singulier.
Ces deux problèmes sont caractéristiques : ils se trouvent posés à chaque moment de l'histoire de la dialectique, mais ils prennent la catégorie de trop loin, presque de l'extérieur, du point de vue général des « grands problèmes de la philosophie » dont ils donnent alors seulement une illustration particulière. L'analyse de la catégorie commence au moment où on met en évidence quatre nouveaux termes.
Progression et passage
D'abord l'idée de dialectique est toujours liée à celle d'une progression : dans tous ses usages historiques, elle se trouve décrire un passage, passage d'un terme (réel ou pensé) à un autre. Il n'y a pas de dialectique sans un tel passage, il n'y a pas de dialectique immobile : cela est vrai, pour prendre un exemple limite, de la dialectique platonicienne (qui est « ascension » et « descente »), à moins d'en faire une lecture polémique, à la manière d'Aristote qui postule l'immobilité des Formes.
Les difficultés commencent au moment d'abord où on cherche quel contenu (réel ou pensé) donner à ce passage ; ensuite au moment où on cherche à déterminer sa forme : on peut le présenter comme un passage discontinu, qui met en évidence une différence fondamentale, et où le résultat est transcendant par rapport au commencement (c'est le cas de la dialectique platonicienne qui met en évidence la séparation de l'intelligible et du sensible) ; on peut le présenter au contraire comme un passage continu, en ce qu'il révèle peu à peu un absolu, et dans lequel le résultat est immanent au commencement (c'est le cas de la dialectique hégélienne, qui met en évidence l'unité fondamentale d'un processus qui, à chacun de ses moments, se révèle à lui-même comme son propre sujet).
L'idée de[...]
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Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
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