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DIALOGUE

La logique du dialogue

Le paradoxe des philosophies non dialogiques du dialogue

Il est pour le moins paradoxal que les philosophes ont généralement assigné au dialogue des conditions de possibilité non dialogiques : la réminiscence (Platon), la commune participation à la raison (Descartes), l'harmonie préétablie (Leibniz), une structure catégoriale commune (Kant, Husserl). Le dialogue comme forme stylistique doit donc être distingué du dialogisme du discours, lequel mérite d'être caractérisé pour lui-même. Le premier ne peut préjuger du second. On connaît, en effet, des monologues juxtaposés qui ont cependant des prétentions « dialogales ». Le dialogue platonicien est largement « monologique », puisque le Maître du jeu, Socrate ou l'Étranger, en dépit de son affirmation de modeste et docte nescience, est censé détenir les critères du vrai.

Le problème de l'autre a été une des grandes conquêtes de la philosophie existentielle, alors que la philosophie classique l'abandonnait dans un étrange délaissement. Pourtant, la philosophie existentielle, en conservant les prémisses « égologiques » d'une phénoménologie de la conscience, conçoit l'altérité à partir de l'ego : l'autre reste « l'Autre du Même » (pour reprendre l'expression critique de Francis Jacques). Aussi la problématique existentielle est-elle par principe dans une position difficile pour rendre compte du dialogue.

Avec des prémisses égologiques, l'incommunicabilité des monades était de droit, et sa transgression miracle et merveille. Néanmoins, dans la tradition existentielle et personnaliste où se situe encore Martin Buber, le dialogue authentique est célébré. On demande aux interlocuteurs de renoncer au goût narcissique d'imposer sa parole propre ; et, surtout, on leur demande d'être à l'écoute, dans une attentive et respectueuse ouverture. C'est que l'auditeur est conçu comme ayant la charge précaire de réactualiser pour son compte l'intention de sens de son partenaire, qui en a le monopole. De cette conception courante de la communication nous sommes aujourd'hui séparés à la fois par Ludwig Wittgenstein et par Charles Sanders Peirce. Au second on doit l'idée que toute activité de pensée est à la fois symbolique et dialogique dans sa forme. Quant au premier, il stigmatise l'idée selon laquelle on comprend une proposition si et si seulement on accède de façon indirecte à la pensée de l'autre, en décodant le message précédemment encodé, et selon la même vieille hypothèse : parole et pensée seraient deux, l'une privée et latente, l'autre publique et patente.

Du dialogisme au dialogue

À l'inverse de l'habitude, il convient donc de définir le dialogue à partir du dialogisme du discours. Les tentatives constructivistes renouent fort heureusement avec la synthèse médiévale de la logique et de la rhétorique. C. Perelman et N. Rescher montrent dans la dispute rationnelle une méthode pour conduire systématiquement une controverse, et pas seulement pour susciter la persuasion. L'école d'Erlangen (P. Lorenzen, K. Lorenz, F. Kambartel) entend substituer à l'interprétation formaliste de la logique et des mathématiques une sémantique nouvelle fondée sur certains jeux en forme de dialogue. Elle s'efforce d'assurer par là à la logique elle-même un fondement dialogique dans nos activités argumentatives élémentaires.

Le dialogisme proprement dit a été mis en évidence par F. Jacques. Il appelle dialogisme « la distribution effective de l' énonciation sur deux instances énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle ». Il définit dès lors le dialogue comme « la forme de discours transphrastique dont chaque énoncé est effectivement déterminé dans sa structure sémantique par une mise en[...]

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
  • : professeur à l'université de Paris-I

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Lanza del Vasto - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Lanza del Vasto

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