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DIAPASON

La double nomenclature

Lorsque, au xie siècle, Gui d'Arezzo inventa les syllabes ut, ré, mi, etc., ce ne fut pas pour remplacer les noms alphabétiques des notes A, B, C, etc., qui existaient depuis deux siècles environ, mais bien pour les compléter selon des conventions très différentes de l'emploi actuel des mêmes syllabes. Celles-ci avaient pour objet de suggérer les intervalles en les dissociant des touches du clavier qui les produisait. Les lettres – qu'on appela justement claves (clefs) – désignaient la touche du clavier ; les syllabes s'y ajoutaient de façon variable selon le déroulement de la mélodie. On solfiait selon les syllabes – donc en hauteur rigoureusement relative, la même touche C pouvant s'appeler selon les cas ut, fa ou sol ; on touchait le clavier selon les lettres, le C restant toujours la « clef » de notre do actuel. Cela ne signifiait pas « hauteur absolue » car la valeur en fréquence de ce C restait indéterminée, mais c'était toujours la touche C, qu'on la solfiât ut, fa ou sol. On passait constamment, en cours de lecture, d'un groupe de syllabes à un autre par un procédé qu'on appelait muance ou mutation. Ce procédé, fort compliqué, disparut au xviiie siècle, et on fixa une fois pour toutes la correspondance entre syllabes et « clefs ». Mais alors se produisit un malentendu qui n'est pas encore dissipé. On pensa que lettres et syllabes se doublaient inutilement et qu'il suffisait de choisir l'un ou l'autre : les Anglo-Saxons choisirent les lettres, les Latins préférèrent les syllabes. Mais ce faisant, ces derniers donnèrent aux syllabes la valeur qu'avaient précédemment les lettres : ils leur firent désigner une fois pour toutes les touches correspondant à l'ancien « heptacorde naturel » : C = do, D = , etc. Comme, après 1859, la hauteur absolue des touches se vit normalisée par l'invention du diapason fixe, il en résulta que les syllabes prirent à leur tour, aux yeux de la plupart des musiciens, un sens de hauteur absolue qu'elles n'avaient nullement auparavant, et qu'il ne resta plus aucun moyen distinct de solfier en hauteur relative. Ce fut une faute très grave dont notre pédagogie supporte aujourd'hui le lourd héritage. Les Allemands abandonnèrent les syllabes et conservèrent les lettres : celles-ci n'ayant jamais précédemment servi à solfier, ils n'en changèrent pas la destination et se privèrent ainsi de la possibilité d'un solfège pratique ; nouvelle faute, différente de la précédente, mais tout aussi grave. Les Anglais furent, relativement, plus avisés : adoptant les lettres pour les touches et, plus tard, pour la hauteur absolue, ils conservèrent les syllabes pour la seule hauteur relative : un la anglais n'est donc pas 435 ou 440 hertz, c'est le 6e degré de la gamme majeure, quelle qu'en soit la tonique. Cette adaptation moderne du système ancien, appelée tonic sol-fa, fut mise au point vers 1850 par John Curwen. Elle reste cependant trop sommaire pour rendre service au-delà de l'éducation élémentaire. Ce système a été perfectionné vers 1940 par Kodály et se trouve à la base de l'éducation chorale en Hongrie. Plus compliqué que le système anglais, il est aussi plus efficace et particulièrement formateur. Il aboutit pratiquement à permettre de chanter à volonté soit les lettres en hauteur absolue (avec des conventions spéciales pour les notes altérées), soit les syllabes en hauteur relative. Ainsi, seule la solmisation par lettres est justifiable du diapason.

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Écrit par

  • : ancien directeur de l'Institut de musicologie de l'université de Paris

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