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DICTIONNAIRE DU VOTE (dir. P. Perrineau et D. Reynié)

« A voté. » Derrière une aussi simple formule, c'est un monde qui se dissimule. D'un côté, les conditions politiques et sociales qui déterminent l'accès aux urnes, de l'autre, les critères mathématiques qui transforment en pouvoir légitime les bulletins décomptés : voici deux univers aux possibilités multiples. L'acte de vote, même si ses formes sont diverses (bulletin, main levée, boule....) est le point de contact homogène entre la société et le pouvoir qu'elle se donne. Il est ainsi, sur l'une et l'autre, un site d'observation précieux.

En plus de quatre cents entrées, le Dictionnaire du vote (sous la direction de Pascal Perrineau et Dominique Reynié, P.U.F., 2001) est comme l'œilleton d'un kaléidoscope : les traditions électorales, les destins de leaders, les querelles de sociologues et les mécanismes de décompte s'y enchevêtrent, montrant que la politique est un échafaudage coloré à l'équilibre précaire. Et si un dictionnaire est ici pertinent, c'est parce que les mots ont tout leur poids. De quoi parle-t-on exactement quand on dit « suffrage » ? Direct ou indirect, censitaire ou universel, il n'aboutit pas au même pouvoir. De même, un scrutin proportionnel n'est pas le même s'il est calculé au plus fort reste ou à la plus forte moyenne. Au-delà de la technique, le lien chamarré entre le vote – simple outil – et la démocratie – philosophie politique – exige de précises définitions.

Les amateurs de science du vote trouveront ici un grand bonheur. De la « loi du cube » aux savoureuses combinaisons de tirages au sort et de désignations lors de l'élection du doge vénitien, en passant par le gerrymandering et le sanior pars ecclésiastique, le technicien de l'isoloir dispose de toutes les références, en plus d'un limpide article sur les modes de scrutin.

Il apparaît ici que le principe démocratique est un idéal, mais la réalité un entrelacs de méthodes. Certes, pouvoir voter pour qui l'on veut ne signifie pas voter n'importe comment, mais ces cuisines électorales exhalent un étrange fumet : même si l'électeur vote pour le candidat de son choix, celui qui fixe les règles du scrutin pèse sur le résultat, pour le meilleur (protéger les minorités) ou pour le pire. Découpage et décomptage sont les deux mamelles de cette fraude électorale légale. A priori vaccin contre l'inéquité politique, le vote devient alors son alibi. Dans les nations les plus apaisées, le développement du contentieux électoral montre que la règle, même quand elle n'est plus trafiquée, demeure contestable. De la composition des listes électorales aux calculs d'attribution des sièges en jeu, les subtilités mathématiques des scrutins influent sur l'histoire politique. L'article consacré à la Nouvelle-Zélande en est une illustration : choisissant en 1993 le système du mixed member proportional, les Néo-Zélandais ont fait basculer leur pays du bipartisme dans le multipartisme le plus complexe, perdant en clarté de pouvoir ce qu'ils gagnèrent en finesse de représentation. De son côté, le Liban perpétue l'équilibre entre le religieux et le politique par un accord tacite sur des circonscriptions réservées à chaque communauté. Enfin, la cocasse mésaventure de la présidentielle américaine de novembre 2000 le confirme : la légitimité issue du vote est écornée si le mode de scrutin est sujet à caution. Élu par une minorité des électeurs au niveau national, vainqueur dans la confusion en Floride, grâce à une technique de vote archaïque (des bulletins perforés) George Walker Bush a débuté son mandat avec une légitimité anémiée, ne devenant président à part entière qu'avec les attentats du 11 septembre 2001.

Si elle est la moins pérenne, la part du Dictionnaire consacrée aux hommes[...]

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Écrit par

  • : directeur adjoint de la rédaction de L'Express, ancien élève de l'École normale supérieure

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