DICTIONNAIRE DU XIXe SIÈCLE EUROPÉEN (dir. M. Ambrière) Fiche de lecture
Faire renaître « notre avant-mémoire européenne et française » en révisant les jugements trop souvent injustes (le « stupide xixe siècle » de Léon Daudet) portés sur ce dont elle est formée : tel est l'objectif que s'est proposé d'atteindre Madeleine Ambrière, maître d'œuvre du Dictionnaire du XIXe siècle européen, publié aux Presses universitaires de France. Dans tous les domaines pris en compte et ainsi revisités, de l'art aux sciences, les principales lignes de force – courants d'idées et écoles – qui les traversent sont préalablement dégagées. Elles conduisent au millier et demi d'articles que plusieurs centaines d'auteurs ont rédigés et qui sont tous placés sous le signe d'un salutaire réexamen de représentations stéréotypées.
La réalité européenne est ici située entre cosmopolitisme et nationalisme. Ces deux tendances apparemment contradictoires, qui coexistent et se combinent dans tous les pays, se manifestent sur plus d'un plan. L'entreprise des frères Grimm est ainsi exemplaire de la recherche de sources culturelles propres et de l'importance des littératures nationales, comme le montre Pierre Brunel. Mais dans l'Europe entière, du début à la fin du siècle, rayonnent des œuvres et foisonnent des traductions en complète opposition avec la fermeture et l'isolement. Mieux : une prise de conscience de l'espace européen s'opère à la faveur d'un comparatisme généralisé, amorcé avec De l'Allemagne de Germaine de Staël et qui trouve son expression achevée dans l'œuvre de Max Müller, le grand linguiste et mythologue d'Oxford.
En musique, Pierre Brunel relève également une tendance affirmée au nationalisme. Des écoles nationales se forment autour de Smetana, de Dvořák, de Grieg ; les Polonaises de Chopin et les Rhapsodies hongroises de Liszt traduisent la recherche de « racines musicales ». Mais, tout comme les livres, les motifs folkloriques passent les frontières et s'intègrent dans un internationalisme musical qui trouve à s'incarner dans de nouvelles figures : les virtuoses internationaux que sont Paganini, Liszt, Field et Anton Rubinstein. En ce domaine aussi, nombreux sont les échanges qui n'aboutissent cependant pas à l'acculturation de formes musicales par trop contraires au goût propre à chaque pays.
Un identique balancement entre ces deux pôles – cosmopolitisme et particularisme – est repéré par Bernard Bourgeois dans le secteur de la philosophie. Après la poussée universalisante des Lumières, les modalités nationales de la pensée philosophique s'accentuent : idéalisme allemand, empirisme anglais, spiritualisme éclectique de Cousin en France, etc. Encore faut-il dans ce dernier cas se garder de tout réductionnisme, comme le montre Jean Lefranc dans une série de solides articles consacrés à Lachelier, Lagneau, Rauh, Ravaisson, etc. Mais surtout, la philosophie devient géographiquement européenne : une « Europe philosophante » se dessine où prime l'hégélianisme, une pensée universelle se développe, largement centrée sur la philosophie politique. Rien d'homogène ni de continu dans cette évolution, un des maîtres mots du siècle ; différentes orientations – vers plus d'objectivité avec Comte et Marx, plus de subjectivité chez Kierkegaard, entre la synthèse hégélienne et l'interrogation nietzschéenne – fournissent les éléments d'une périodisation.
Les révolutions de 1848 et le printemps des peuples ne sont donc pas l'unique division du cadre historique mis en place par Jean Tulard et Jean-Marie Mayeur. Les articles du Dictionnaire du XIXe siècle européen renvoient à des découpages chronologiques propres à chaque discipline. Ainsi, pour la médecine, ils s'ordonnent à ce que Jean Bernard appelle les « six glorieuses »,[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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