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DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE, Voltaire Fiche de lecture

En juillet 1764, lorsque paraît à Genève le Dictionnaire philosophique, Voltaire (1694-1778) a soixante-dix ans. Ses tragédies (Œdipe, Zaïre), ses contes (Zadig, Candide), ses essais (Lettres philosophiques, Essai sur les mœurs), ses contributions à l'Encyclopédiede Diderot et d’Alembert, ses démêlés avec la justice et la censure, ses exils en Angleterre et en Suisse, son élection à l'Académie française (1746) et son séjour auprès de Frédéric II de Prusse (1750) l'ont rendu célèbre dans toute l'Europe, alors que le rayonnement de la culture française atteint son apogée. Dernier coup d'éclat en date, son engagement, depuis 1762, dans « l'affaire Calas », du nom de ce protestant toulousain exécuté pour le meurtre de son fils (sur le point de se convertir au catholicisme) au terme d'un procès inique : Voltaire contribuera, en particulier avec le Traité sur la tolérance(1763), à obtenir la révision du procès et la réhabilitation de Calas l'année suivante. C'est donc une figure centrale du monde des lettres et le véritable porte-drapeau d'un « parti philosophique » persécuté par le pouvoir religieux, mais bénéficiant de soutiens au cœur même du pouvoir politique (Madame de Pompadour, Choiseul...) qui fait paraître, anonymement, ce Dictionnaire philosophique.

Bien que condamné successivement par les autorités genevoises, le Parlement de Paris et le pouvoir pontifical, le livre, dont la paternité, en dépit des dénégations de l'auteur, ne fait aucun doute, circule largement et connaît un grand succès, qui ne se démentira pas au fil des éditions successives (1765, 1767, 1769...). Surtout, il apparaîtra, après la mort de l'auteur, comme un condensé de sa pensée, et, au-delà même, de la philosophie des Lumières. La IIIe République en fera une sorte de « bréviaire laïc ». Si certains articles ont perdu de leur pertinence en raison des avancées de la connaissance ou de l'évolution des mentalités, d'autres sont encore invoqués pour défendre, contre le fanatisme et la superstition, la tolérance et l'esprit critique.

« La raison par l’alphabet »

Publié sous le titre complet de Dictionnaire philosophique portatif, le livre finira par perdre, en 1769, ce dernier qualificatif, devenu de fait impropre. Il sera remplacé par le sous-titre : « la raison par l'alphabet ». Le texte de la première édition, comportant soixante-treize articles, ne cessera en effet d'être amplifié (sept articles supplémentaires fin 1764, seize en 1765, dix-huit en 1767, quatre en 1769), sans parler des nombreux remaniements et développements, parallèlement aux nouveaux combats de Voltaire : affaire Sirven (nouvel exemple de persécution contre les protestants), exécution du chevalier de La Barre, condamné à mort pour blasphème et brûlé avec l’exemplaire du Dictionnaire trouvé chez lui.

Par définition, le Dictionnaire, qui ne se veut pas un traité et n'expose ni doctrine ni système, ne présente d'autre structure que l'ordre alphabétique. Comme l'auteur l'écrit dans la préface de 1769, « ce livre n'exige pas une lecture suivie ; mais à quelque endroit qu'on l'ouvre on trouve de quoi réfléchir ». Cette pure juxtaposition n'empêche pas certains rapprochements voulus, et Voltaire a pu, ici et là, contrebalancer la discontinuité par des transitions : les phrases « Nous avons parlé de l’amour. Il est dur de passer de gens qui se baisent à des gens qui se mangent » ouvrent l'article « Anthropophages », qui succède à celui sur l'amour. On voit également, grâce aux ajouts, des regroupements se constituer, comme la série de la lettre J « Jephté ou des sacrifices de sang humain » (1764), « Job » (1767), « Joseph » (1764), « Judée » (1767), « Julien le philosophe, empereur romain » (1767), ou encore la succession signifiante « Lettres, gens de lettres ou lettrés » (1765), « Liberté[...]

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