DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE, Voltaire Fiche de lecture
« J'écris pour agir »
Le Dictionnaire philosophique est conçu par Voltaire comme un livre de combat, ce qui suppose le déploiement d'une ou plusieurs stratégies afin d'emporter l'adhésion du lecteur. L'un des premiers traits qui frappe ce dernier dès les premières pages est la spectaculaire érudition dont l'auteur fait preuve, et on serait même tenté de dire : étalage. Certes, cette érudition s'inscrit dans un contexte général d'accumulation et de recensement des connaissances que tout « honnête homme » se doit alors de maîtriser. D'où la prolifération des dictionnaires, dont l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est l'expression la plus achevée. Mais sans doute faut-il y voir également de la part de Voltaire une réponse à l'accusation, fréquemment formulée à son encontre, de brillante superficialité.
Au reste, si une part de ce savoir semble de première main, l'essentiel consiste en références à une quantité de sources diverses, dont certaines évoquées dès la préface : « le célèbre docteur Middleton, bibliothécaire de Cambridge », « le savant évêque de Glocester Warburton », « les manuscrits de M. Dumarsais ». Voltaire présente lui-même son Dictionnaire comme un tissu d'emprunts et de citations, un ensemble d'articles « tirés des meilleurs auteurs de l'Europe ». Stratagème classique pour se protéger des poursuites en renvoyant à de « savants » auteurs, réels ou fictifs, la responsabilité de leurs propos, ce dispositif énonciatif participe surtout d'un jeu de duplicité-complicité avec le lecteur, qui finit par ne plus savoir au juste qui a écrit quoi !
À ce foisonnement de références s'ajoute une très grande diversité de formes discursives, du conte (« Dogmes ») à l'exégèse (« Genèse »), du dialogue (« Liberté ») à la parodie (« Catéchisme chinois »)... Si cette variété, au même titre que la pluralité des « voix », peut apparaître comme une manière de résister – à la différence peut-être d'un traité – à toute tentation de dogmatisme, elle est avant tout l'expression d'un rapport particulier, à la fois sérieux et ludique, profond et pétillant, à la littérature et à la pensée. À cet égard, ce « dictionnaire » se propose moins de définir des mots ou des notions, comme le terme semble l'annoncer, que de donner à réfléchir, au gré d'un parcours qui n'est pas sans faire penser aux Essais de Montaigne, auxquels Voltaire lui-même se réfère dans une lettre à Mme du Deffand, contemporaine de la rédaction de l’ouvrage.
L'érudition, la précision de l'analyse, la rigueur argumentative, la rhétorique de conviction n'effacent jamais ici tout à fait, en somme, le pur plaisir du texte, et l'enjeu philosophique et politique, bien réel, n'empêche pas l'« esprit » – notion centrale pour Voltaire, qui lui a consacré un article dans l'Encyclopédie – de se donner libre cours. Ni exposé militant, ni dogme antidogme, le Dictionnaire philosophique apparaît avant tout comme le recueil des réflexions d'un penseur en liberté, lequel, du reste, s'adresse explicitement – et c'est sans doute sa limite politique – à un public déjà convaincu : « Ce n'est même que par des personnes éclairées que ce livre peut être lu ; le vulgaire n'est pas fait pour de telles connaissances. La philosophie ne sera jamais son partage. »
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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