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DICTIONNAIRE

Dictionnaire et société

Toutes les langues n'ont pas été « dictionnarisées », toutes les communautés n'ont pas réalisé leur propre dictionnaire, mais plus une société se développe et se complexifie, plus ses connaissances sont étendues et diversifiées, plus les dictionnaires jouent un rôle important.

Le caractère social du dictionnaire tient à ce qu'il est perçu comme la somme des connaissances partagées par une communauté. Nul ne saurait en avoir une entière maîtrise, ce qui reste le privilège du dictionnaire. La représentation du monde, donnée par l'intermédiaire du traitement lexicographique (choix de la nomenclature et des citations, élaboration des définitions et des exemples), est bien celle que la communauté concernée se fait d'elle-même, de ses goûts et de ses valeurs. L'autorité de cette référence tient à un accord consensuel profondément établi : ce que dit le dictionnaire est légitime et vrai. De ce fait, il exerce une forte action normative en dehors de toute visée prescriptive propre et, pour l'usager, il représente une institution comparable au Code civil. Mais c'est aussi une institution culturelle, un « lieu de mémoire collective » (P. Nora) à l'instar des bibliothèques et des musées, l'une de ses finalités, directe ou indirecte, étant de conserver et de transmettre les éléments d'une culture à travers les mots définis et les discours cités.

Le dictionnaire-trésor, prototype des dictionnaires culturels, assure plus particulièrement cette fonction, mais tout dictionnaire porte l'empreinte des images et des stéréotypes de son temps. De plus, il révèle les attitudes esthétiques, morales, philosophiques, politiques ou religieuses des auteurs, il peut même être l'agent de leur militantisme : ainsi le Furetière est marqué par le jansénisme, le Trévoux par la pensée jésuite, le Littré par le positivisme, le premier Larousse par le rationalisme anticlérical.

Par leur nombre et leur diversité, les dictionnaires (30 000 environ recensés pour le français depuis le xvie s.) reflètent la variété des besoins auxquels ils répondent. Ils expriment aussi l'influence exercée par la société qui les produit et à laquelle ils sont destinés. Rendant compte d'un état de civilisation et des idéologies alors dominantes, ce sont des outils précieux pour la connaissance du passé. L'histoire des dictionnaires montre qu'ils visent souvent à satisfaire les demandes particulières d'un groupe social ou professionnel et d'un type d'usagers. Il n'existe pas, et il n'existera sans doute jamais de « dictionnaires à tout faire », quoi qu'en disent les publicitaires.

Les premiers glossaires de langues anciennes s'attachaient aux formes rares ou obscures, caractéristique des répertoires à l'usage des étudiants et des érudits. À l'inverse, les petits vocabulaires bilingues en langues modernes pour commerçants et voyageurs, traitaient des mots et des tours usuels, et relevaient des emplois familiers, vulgaires ou néologiques, parfois non attestés ailleurs. Pour ces usages, les dictionnaires bilingues restent souvent plus riches que les monolingues les plus développés.

Le mouvement des idées et des connaissances, associé aux progrès de l'instruction, met les dictionnaires face à des lecteurs plus nombreux donc à des besoins plus diversifiés. Aux xviiie et xixe siècles, ce sera l'une des raisons du succès de la formule « universelle » qui prétend fournir réponse à tout, sans cesser d'être un guide linguistique et esthétique. Il n'est pas d'événement d'une certaine ampleur, progrès scientifique, invention, mode, guerre, conquête territoriale, lutte politique, etc., qui n'ait inspiré ou nourri un ou plusieurs répertoires. La plupart des dictionnaires correctifs (« ne dites pas... », « dites... », par exemple),[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S., directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études

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Média

Robert Estienne - crédits : Stefano Bianchetti/ Corbis/ Getty Images

Robert Estienne

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