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BLONDE DIDIER (1953- )

Un piéton de Paris

L’image traduit ce qu’il doit aux poètes et piétons de Paris dans les pas desquels il s’inscrit, à commencer par Nerval, Aragon et Breton, mais aussi à des contemporains, comme Modiano. La flânerie, le vagabondage indispensable, la quête de l’invisible et du secret ne peuvent se concevoir sans une recherche méticuleuse qui part de l’infraordinaire, pour reprendre le mot de Perec, autre contemporain capital de Didier Blonde. Le narrateur est souvent défini comme patient, aux aguets. Cela vaut pour les lieux et les êtres, dont Judith, héroïne du Figurant (2018) : « Aidé par les lieux qui sont une mémoire, même retouchés, je suis doué d’une force de concentration, d’imagination, ou de vertige peu commune, je verrai son fantôme. » Le détail dit tout. Il suffit de s’arrêter sur ce qui est d’apparence insignifiante pour que l’imagination se mette en branle. « Tout visage, note Didier Blonde, est un roman en germe. » Et le propos est voisin dans Carnet d’adresses, au sujet du cimetière : « Toutes les tombes sont des romans dont nous sommes les auteurs. » LeïlahMahi 1932, couronné en 2015 par le prix Renaudot essai, en est la parfaite illustration. À partir d’une photo défraîchie et d’une seule date, celle du décès, il reconstitue l’existence de cette jeune femme énigmatique, ayant une « pose de femme fatale, provocante, presque indécente, dans une nécropole ». Le cimetière comme le café sont pour l’écrivain des lieux privilégiés. Le premier parce qu’il nous lie à ceux qui peuplaient notre monde. Le second, parce qu’il est un lieu de rencontres et d’observation, sans lequel rien ne se noue.

Si Paris offre le cadre spatial de l’œuvre, le début du xxe siècle est son cadre temporel. C’est le Paris des frères Lumière, des inventeurs, qui sont contemporains de Freud et de son Interprétation des rêves. Les déguisements d’Arsène Lupin ou le masque de Fantômas sont des symboles d’époque, comme le camouflage qui protège la capitale menacée par les canons allemands en 1914. Ce Paris est aussi celui du cinéma muet, un cinéma « qui fait parler les morts », dans lequel « il suffit de couper le son pour que la réalité devienne aussi étrange qu’un rêve et se voile de mystère », écrit l’auteur dans Les Fantômes du muet. Les films populaires de cette époque sont remplis de fantômes, de doubles, d’automates et de vampires, toutes figures qui établissent des liens entre ce monde et un autre, secret, souvent souterrain, propice aux crimes et complots. C’est le monde de Mabuse et de Nosferatu, c’est surtout celui que les films de Louis Feuillade offrent au public de l’époque.

Didier Blonde est de ce monde depuis l’enfance. Son grand-père possédait une caméra et on projetait ses films dans l’appartement. Lycéen, il fut projectionniste du ciné-club. Sa passion pour le cinéma muet trouve ses sources là, comme celle pour les films parlants dans la fréquentation du Gaumont-Palace. Cette salle mythique qui projeta les films de Feuillade sert aussi de décor aux 400 Coups de Truffaut, et on la retrouve dans le roman Le Figurant. Un jeune homme devient figurant sur le tournage de Baisers volés, à Montmartre, en février 1968. Il apparaîtra par la suite dans quelques films de la Nouvelle Vague. Une rencontre amoureuse le marque ; quarante-cinq ans plus tard, il part en quête de Judith, son éphémère amante, sorte d’apparition : « Je n’ai tourné dans ces films que pour la retrouver. On ne m’y voit que parce qu’ils sont hantés par son absence. C’est son fantôme qui m’accompagnait, c’est elle la véritable chaîne secrète qui les relie, invisible sauf pour moi. Passage du témoin. » Un témoin qui continue de traverser Paris.

— Norbert CZARNY

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Média

Didier Blonde - crédits : Gallimard/ Opale/ Leemage

Didier Blonde