FASSIN DIDIER (1955- )
Pour une anthropologie politique et morale
Auteur d’une œuvre foisonnante, Didier Fassin a écrit une cinquantaine d’ouvrages, parfois traduits en plusieurs langues. Si les objets de ses travaux sont divers, le chercheur défend la mise en pratique d’une anthropologie politique et morale comme démarche scientifique. Cette proposition théorique et méthodologique suggère de décentrer le regard pour comprendre les faits sociaux de l’intérieur et récuse toute simplification culturaliste. Engagée, révélatrice des inégalités, son approche se veut attentive au rôle de l’État, c’est-à-dire aussi bien aux effets des politiques publiques et de leurs mises en œuvre qu’à son économie morale, soit aux valeurs et aux affects qui se cristallisent dans l’espace public autour d’un problème (Juger, réprimer, accompagner. Essai sur la morale de l’État, 2013). Impliquant une « posture critique à la frontière », elle permet d’alterner regard du dedans et regard du dehors afin de garantir la connaissance du milieu observé, tout en préservant une réflexion à distance.
Rétrospectivement, l’auteur décline cette approche sur trois thématiques majeures. C’est d’abord en anthropologie médicale, plus particulièrement sur le thème de la santé publique, qu’il fait ses armes en sciences sociales. Ses premiers travaux s’intéressent aux représentations des maladies, aux dispositifs sanitaires, aux politiques et aux pratiques locales de santé (Pouvoir et maladie en Afrique. Anthropologie sociale dans la banlieue de Dakar, 1992). Dans une logique de déconstruction des arguments culturalistes et essentialisants, le chercheur s’attache à décrire les difficultés pour les populations observées d’accéder aux soins. C’est ainsi par le prisme des inégalités sociales, sa seconde thématique principale, qu’il choisit de faire dialoguer sciences sociales et santé publique. Véritable fil rouge de son œuvre, la question des inégalités et des discriminations se retrouve tant dans son analyse des crises sociales (La société qui vient, 2022) que des épisodes pandémiques contemporains (Les Mondes de la santé publique. Excursions anthropologiques, 2021). Enfin, son troisième axe de travail porte sur l’État, d’abord en tant qu’État social, avec ses mécanismes assurantiels et assistanciels, mais aussi dans sa dimension punitive, via ses dispositifs policier, judiciaire et carcéral. Si toutes les fonctions de l’État ne sont pas passées en revue, Didier Fassin étudie aussi bien le « gouvernement de la précarité » – à savoir l’administration des populations les plus affectées par les inégalités sociales, cibles des « politiques compassionnelles » (La Raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent, 2010) et soumises à des discriminations ethnoraciales – que leur encadrement. L’objectif de ses travaux sur la police (La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, 2011) ou encore sur la prison (L’Ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale, 2015) est d’aborder l’institution par ses périphéries, c’est-à-dire au plus près des agents de terrain, là où sont mises en œuvre les politiques publiques. Ainsi, pour le chercheur, l’État se donne à voir dans ses relations avec les populations.
Œuvre fondamentale tant en santé publique que sur les inégalités sociales et les relations des populations marginalisées avec les institutions, les travaux prolifiques de Didier Fassin témoignent du parcours d’un chercheur engagé, attentif aux mécanismes des discriminations, investi sur des objets multiples et, surtout, au profil et aux compétences protéiformes.
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Écrit par
- Juliette FROGER-LEFEBVRE : docteure en science politique, chercheuse post-doctorante au CNRS, sociologue de la santé
Classification
Média
Autres références
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