DIE SOLDATEN (B. A. Zimmermann)

Le 15 février 1965, à l'Opéra de Cologne, l'opéra en quatre actes Die Soldaten (Les Soldats) de Bernd Alois Zimmermann est créé sous la direction de Michael Gielen, dans une mise en scène de Hans Neugebauer. Son livret est une adaptation par le compositeur lui-même de la pièce éponyme publiée en 1776 par Jakob Lenz, dramaturge mythique du Sturm und Drang. Le sujet est prosaïque mais audacieux : Marie, qui doit épouser un drapier, s'engage dans une aventure avec un officier ; celui-ci la rejette très vite et elle sombre dans la prostitution.

Pour Zimmermann, qui signe là son seul ouvrage lyrique, entamé en 1957, l'opéra est l'œuvre d'art totale, dans laquelle doivent se fondre tous les moyens d'expression : arts plastiques, théâtre parlé, théâtre musical, comédie musicale, chorégraphie, cinéma, enregistrements diffusés par des haut-parleurs... Les Soldats s'affranchissent complètement du modèle, inspiré d'Aristote, des unités de temps, de lieu et d'action : cette œuvre présente une démultiplication de l'espace et du temps, Zimmermann, adepte de la simultanéité, du « cours sphérique du temps » (« Kugelgestalt der Zeit »), stipulant que l'action se déroule « hier, aujourd'hui et demain ». L'opéra utilise abondamment les citations et les collages, intègre tous les styles musicaux – du chant grégorien et de chorals de Bach au jazz en passant par les musiques électronique et concrète – et toutes les techniques d'émission vocale : déclamation, chuchotements, cris, parlando, Sprechgesang, chant... L'effectif orchestral, gigantesque, est démultiplié : à l'orchestre de fosse se joignent parfois trois groupes de percussions derrière les décors et un combo de jazz sur scène. Le chef d'orchestre Wolfgang Sawallisch, alors directeur général de la musique à Cologne, estimera l'œuvre injouable sous sa forme originelle et Zimmermann devra la simplifier en 1963-1964 pour qu'elle soit enfin créée en 1965.

— Juliette GARRIGUES