FISCHER-DIESKAU DIETRICH (1925-2012)
Les mots chantent
Dans les années de l'immédiat après-guerre, le lied ne séduisait guère les foules. Il a fallu toute l'agissante conviction de Dietrich Fischer-Dieskau pour imposer aux organisateurs de concerts et aux mélomanes la poésie discrète de ces « Lieder-Abende » née de la nudité du dialogue d'une voix et d'un piano. C'est chose faite aujourd'hui. Fischer-Dieskau fut d'abord le médiateur de la grande tradition du lied germanique. Le premier, il offre au disque d'incontournables intégrales des œuvres pour voix d'homme de Beethoven (An die Ferne Geliebte, avec Jörg Demus, 1966), Schubert, Schumann, Brahms, Richard Strauss et Wolf. Certains cycles – de Schubert, le Voyage d'hiver, La Belle Meunière, Le Chant du cygne – seront sans cesse revisités, avec de nouveaux partenaires, en quête d'une vérité nouvelle. La sensibilité exacerbée de Schumann et le pointillisme de Wolf trouvent en lui un traducteur idéal, peut-être plus indiscutable encore que dans Schubert. Nommer tous ceux qui se sont fait une gloire, non pas de l'accompagner mais de lui apporter un contre-chant fondamental, témoigne des hauteurs où se situe l'inspiration de Dietrich Fischer-Dieskau : Gerald Moore, Sviatoslav Richter, Leonard Bernstein, Jörg Demus, Christoph Eschenbach, Wolfgang Sawallisch, Murray Perahia, Hartmut Höll, Alfred Brendel, Daniel Barenboim, Karl Engel, Aribert Reimann, Maurizio Pollini, Vladimir Horowitz, Vladimir Ashkenazy, Benjamin Britten, Wilhelm Kempff...
Il fut en outre un infatigable explorateur de pages ignorées, malgré leur valeur et leur charme. Plus de 3 000 lieder dus à une bonne centaine de compositeurs différents – parmi lesquels Carl Friedrich Zelter, Carl Loewe, Louis Spohr, Giacomo Meyerbeer, Peter Cornelius, Franz Liszt, Max Reger, Hans Pfitzner, Hermann Reutter, Charles Ives, Boris Blacher, Benjamin Britten et Béla Bartók – ont repris, grâce à lui, place au disque ou dans les récitals. La mélodie française n'a pas pour autant été oubliée – avec Fauré, Debussy, Ravel et Poulenc – et a trouvé en lui un interprète aussi attentif que perfectionniste.
Cet éternel insatisfait qui sans cesse a questionné quelques œuvres essentielles, cet affamé de musiques négligées ou inédites est avant tout un extraordinaire conteur. Nourri par une très riche culture littéraire, Dietrich Fischer-Dieskau sait scruter textes et partitions pour que notes et mots parlent avec toute leur saveur et tout leur naturel. Son étude approfondie des textes lui permet d'en faire ressortir les intentions les plus intimes, même quand la musique semble les ignorer. Il n'y pas là recherche artificielle de sens caché, ni excessif goût de la sophistication, mais quête absolue de la plus simple beauté. La phrase, qui semble alors totalement improvisée, s'échappe de la prison des barres de mesure. Docile à la moindre inflexion verbale, la voix joue en toute liberté avec les variations de couleur et le rythme des respirations. Avec un legato admirablement contrôlé, un mezzo voce magique, un timbre à la fois clair et profond ainsi qu'une gravité expressive exemplaire, Dietrich Fischer-Dieskau, tout entier accompli dès ses débuts, a donné au lied allemand une densité émotionnelle rare et un rayonnement universel. Vénéré par toute une génération d'interprètes, il a su conjuguer dans un art unique deux termes a priori inconciliables : évidence et raffinement.
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
Classification
Médias
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