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DIEU D'EAU (M. Griaule)

Publié fin 1948, Dieu d’eau se présente comme une chronique des entretiens quotidiens entre un vieil aveugle dogon, Ogotemmêli, et l’ethnologue français Marcel Griaule, lors de la mission ethnographique Niger de 1946. L’ouvrage marque un tournant dans l’œuvre de ce célèbre spécialiste des Dogon du Soudan français (actuel Mali). En interrogeant Ogotemmêli et en mettant en forme son discours, Marcel Griaule ne vise plus l’inventaire exhaustif de la société dogon grâce à l’addition et au recoupement de témoignages oraux, matériels et visuels ; il cherche désormais à accéder au savoir supérieur détenu par un « érudit » local afin de reconstituer par écrit une cosmogonie ou une métaphysique dogon comparable à la mythologie et à la philosophie de la Grèce antique. Récit littéraire et vulgarisateur, Dieu d’eau rompt ainsi avec les stéréotypes péjoratifs sur l’Afrique et devient assez rapidement un best-seller mondial, malgré les critiques de nombreux ethnologues.

Enquête orale ou initiation ?

La rencontre entre Ogotemmêli et Griaule a lieu le 20 octobre 1946 à Sangha, agglomération dogon qui sert de base aux ethnographes depuis 1931. La veille, le neveu d’Ogotemmêli avait cherché à vendre une amulette à Griaule, pour le compte de son oncle. Dès le lendemain, l’ethnologue et son interprète Koguem se rendent chez le vieil aveugle pour l’interroger sur les objets magiques qu’il fabrique, mais leurs échanges, d’abord quotidiens puis biquotidiens, se prolongent finalement jusqu’au 2 décembre en glissant progressivement vers les thématiques privilégiés par Griaule : les mythes de création, la figure du génie d’eau Nommo, le symbolisme des objets ou des peintures…

Face aux « révélations » de son interlocuteur, Griaule se persuade qu’Ogotemmêli a été délégué par les autorités religieuses locales pour lui transmettre un savoir immémorial. Cette interprétation, démentie par les faits, confère une dimension collective à un discours individuel et transforme la relation d’autorité de l’enquêteur sur l’enquêté en une initiation d’un élève par son instructeur. Les données recueillies peuvent ainsi être validées et publiées sans avoir été recoupées. Ancien chasseur et aveugle libre de sa parole, Ogotemmêli n’est pourtant mandaté par personne et Griaule, enquêteur blanc en contexte colonial, n’est en rien un élève discipliné. Il dirige au contraire les entretiens, règle leur fréquence, paie son interlocuteur, oriente son discours et traque ses contradictions pour pouvoir construire un récit cosmogonique linéaire et cohérent à partir de bribes d’explications mythologiques ou symboliques.

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Écrit par

  • : anthropologue, chargé de recherche au CNRS, Institut des mondes africains

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