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DIEU La négation de Dieu

La multiplicité des propriétés

Qu'un sentir et qu'un penser soient ultimes ne supprime pas leur intervalle au senti et au pensé ; si j'ai l'idée de Dieu, si j'ai l'intuition de son existence et de sa puissance, n'en est-il pas de lui comme des images des songes et des idées forgées de toutes pièces, telle celle d'un cheval ailé ? Ne suffit-il pas, pour fabriquer d'illusoires notions, de réunir arbitrairement les éléments de représentations connues et de les dissimuler sous l'unité d'un terme ? Pour qui ignore tout des mathématiques, il n'est pas incompatible avec la définition du cercle qu'il soit carré ; pour qui n'a jamais vu de cheval, il est vraisemblable de lui attribuer des ailes. Les sophistes, jouant de la confusion des contenus rationnels et sensibles dans l'esprit de leurs auditeurs – la critique platonicienne en dénonce le procédé –, accréditèrent certains mots sous lesquels il n'y avait que des incompatibles, les introduisirent dans la discussion philosophique, de telle sorte que leurs disciples les utilisèrent comme s'ils recouvraient quelque réalité. L'idée de Dieu n'est peut-être qu'une de ces pseudo-idées dont on ne perçoit pas immédiatement le non-sens ; Dieu, sujet d'un nom qui devrait être le sien, n'est peut-être que le nom d'un nom ; ne serait-il pas, dans ces conditions, comme l'affirme Nietzsche, notre plus grande erreur ?

Que pense-t-on quand on pense Dieu ? Pense-t-on quand on pense Dieu ? Est-il possible de considérer comme idée la synthèse d'un héritage historique, d'une tradition religieuse, de conclusions métaphysiques intérieures à cette histoire et à cette tradition ? d'unir, dans une positivité absolue, sans trace de négatif, toutes les positivités, de telle sorte que la Toute-Puissance et la Perfection, l'Éternité et l'Infini, la Miséricorde et la Justice convergent en un seul Être ?

L'unité des attributs est fonction de l'unité du sujet auquel ils sont inhérents d'après les données de la perception ou selon les lois d'une définition constitutive de son objet : la couleur de la fleur, les trois côtés du triangle sont rapportés à cette fleur, à ce triangle, mais la Toute-Puissance et la Perfection, l'Éternité et l'Infinité, la Miséricorde et la Justice échappent à l'appréhension sensible et à la compréhension intellectuelle faute du terme premier qui, dans toute intuition empirique, toute proposition, tout jugement, attache les prédicats, produits de l'analyse, au sujet qui, existentiellement et logiquement, les précède et ne saurait être constitué par leur synthèse. Raisonnable, bipède, blond, grammairien désignent un homme que les prédicats ne créent pas puisqu'ils le supposent ; or, l'idée de Dieu, construite par assemblage de propriétés qui sont des idées chacune dans sa ligne et qui n'a comme substrat qu'un nom, implique la relation inverse, l'antériorité des prédicats et la postériorité du sujet, dont résulte, ceux-là fussent-ils nécessaires, la contingence de celui-ci. Il y a donc un renversement de l'ordre des raisons et de l'ordre des choses ; cependant, si Dieu est le Dieu de ses attributs, il est nécessaire qu'ils ne lui viennent pas accidentellement, du dehors, mais qu'ils découlent de son essence en tant qu'elle leur est identique.

Vide de tout contenu, ne comprenant a priori aucune qualité plutôt que telle autre, en attente de nouveautés scientifiques, morales, religieuses qui lui adjoindraient de nouvelles valeurs, aussi pauvre que l'idée de l'être en général qui, pour tout embrasser n'embrasse rien, sans les définitions dogmatiques, les commentaires et les exégèses, non seulement l'idée de Dieu manquerait de matière, mais elle n'aurait pas de forme,[...]

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