DIEU La négation de Dieu
La foi en Dieu
Impuissante à former l'idée de Dieu autant qu'à déduire son existence, la raison échoue. Cet échec n'est pas sans signification ; moins celui d'une preuve que celui d'une idée, il renouvelle la question d'abord posée : « Comment peut-on penser et dire ce qui n'existe pas ? » ; il manifeste que, dans ce processus qui est un procès, dans cet appareil de démonstrations et de définitives conclusions, il s'agit moins d'un problème d'existence que d'une adhésion, inavouable parce qu'inavouée, à l'idée, informulable aussi parce que voulant s'ignorer et emportant avant tout examen une confiance inespérée ou désespérée à un être dont on ne sait rien sinon qu'on en parle : c'est à l'idée qu'on tient, c'est elle que pour toutes ces raisons on n'abandonne pas, quitte à se livrer pour la défendre aux compromissions de langages, aux preuves marginales, aux témoignages irréfutables et réfutés, aux témoins irrécusables et récusés ; obscure faiblesse de la pensée et de la vie, l'idée de Dieu est la suprême revanche du sujet, la conquête d'une maîtrise perdue, le pénible aveu du refus du risque sous le masque d'une argumentation stérile qui se crée ses raisons sous le couvert d'une affirmation commune : Dieu est Dieu et parce qu'il est Dieu il existe.
Témérité d'une transgression qui remplace la perception absente et l'impossible intuition, reconnaissance mystérieuse d'une présence incommunicable, vouloir caché d'une abdication du vouloir et conscience obscure de n'être pas une conscience claire, telle est la foi avant qu'elle ne devienne foi en tel ou tel Dieu, avant que ne lui soit donné et qu'elle se donne un nom ; élection souterraine, passionnelle et passionnée qui rencontre l'élu parce qu'elle l'a choisi, qui le choisit parce qu'elle le veut, qui le produit parce que la détresse humaine l'appelle ; terreur et charité, crainte et espérance, ultime revendication et dernier sacrifice, sa nature est de n'en pas avoir, son innocence de se masquer sa foncière ambiguïté, sa simplicité de croire en elle-même ; plus profonde que ses apparentes raisons, plus complexe qu'elle ne l'imagine, plus naïve que l'appareil de sa légitimation intellectuelle, elle se donne le radicalisme d'un acte premier, origine de la conscience que les autres actes, plus explicites et mieux dominés, impliquent ; lointaine appartenance qui se réfléchit comme une prégnance, un signe ou un appel, elle illustre l'adhésion secrète du désir à lui-même dans l'image de la transcendance d'un mouvement qui se fige en transcendant ; sans doute y a-t-il quelque présupposé de foi dans la rigueur de la rationalité qui s'oppose à l'irrationalité ; sans doute décèlerait-on cette foi au cœur de la plus impitoyable lucidité qui se préfère à l'aveuglement ; sans doute les valeurs de pensée et de vie sont-elles crues avec ou sans raison, voire contre toute raison, et la foi prend-elle la signification d'un jugement originel auquel s'articuleraient tous les autres et dont ils dépendraient. Mais la régression qui conduit à l'unité de l'affirmant et de l'affirmé comme fondement de toute conscience ne la promeut que par ignorance : en quoi l'antériorité, l'immédiateté, la naïveté auraient-elles la priorité sur les actes seconds, réfléchis et lucides ? en quoi, en fait et en droit, l'origine serait-elle bonne parce que originelle ? en quoi le premier moment garantirait-il la pureté d'une nature qui, parce que naturelle, ne pourrait pas plus se tromper que nous tromper ?
Le besoin de croire, si fondamental qu'il domine de très haut tous les autres et qu'il échappe à leur dangereux conditionnement[...]
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Écrit par
- Jeanne DELHOMME : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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