DIEU La négation de Dieu
Interrogation et négation
L'interrogation suprême se dissout pour la pensée dans l'intervalle des termes qui la formulent et de la connaissance qui les sous-entend, dans l'écart de l'acquis et de la réflexion où s'insinuent l'inquiétude et le doute ; faute de pouvoir suivre le fil qui mène de l'affirmation à l'affirmé, d'accepter le travail sournois de pénétration qui retourne une idée en croyance, de comprendre le processus souterrain qui fait admettre l'inadmissible, la certitude naïve se dissout, la confiance se perd, le jugement reste en suspens et l'on entrevoit, regard simple et pourtant chargé de suspicion, que les mots employés pour exprimer le plus grand et le plus grave de tous les problèmes ont le sens que leur donne une pensée présente, actuelle, voulue, spontanée, sincère et intègre mais qui n'est pas maîtresse d'elle-même parce qu'elle a déjà traversé la pensée et le langage quand elle pose sa première question, qu'elle est chargée de sens quand elle cherche le sens, sédimentée quand elle jaillit, riche quand elle se croit dénudée ; sans doute pourrait-elle établir consciencieusement le bilan de l'acquis, inventorier son passé et son histoire, mais cet examen même est une continuation et pas un commencement ; par toute nouvelle pensée, toute nouvelle parole, pensée et langage se déplacent continuellement, dans une sorte de dérive d'où sont absents tout système d'origine et tout point de situation ; par rapport à quoi, ce déplacement, de quelle origine dépend-il, de quelle histoire le sens a-t-il reçu un autre sens et un sens nouveau, par quelle assimilation progressive le problème se pose-t-il en ces termes ? Puisqu'il n'y a qu'eux, ces termes-là, puisque tout usage d'autres termes est encore en ces termes, l'au-delà du sens et de l'être est encore de notre sens et de notre être.
Aucun cogito, aucun sum, de quelque manière qu'on les interprète, ne dissipent le malaise parce qu'ils ne font que déplacer Dieu, engendrant l'illusion que je suis un sujet, point de départ de sa pensée, de son être, de ses actes, source absolue de ce qu'il engendre, centre de ce qui lui arrive, comme si sa position effaçait tout le reste et qu'il pût magiquement compléter son être et son discours de ce que cette position leur enlève : le pouvoir de légiférer dans l'universel et dans l'absolu, car je ne suis pas un sujet, je ne suis pas le sujet qui pense et qui parle, je pense, je parle en sujet, par un discours oblique où s'indique la fuite des pensées et des paroles, se dit que sujet je ne le suis pas, que le sens est ce sens-là, absolu comme seul possible, particulier comme seul réel, marginal, en coupe, en biais, en négatif. Pour que l'idée de Dieu passe dans mon entendement, il faudrait que celui-ci soit plein et porte la positivité de ses idées ; qu'il y en ait une qui soit enfin accomplie, achevée, fermée sur soi ; qu'elle reste entière sous le regard, saisie de tous les côtés à la fois ; qu'il n'y ait pas de ces demi-idées et de ces demi-mesures qui soulignent l'étrangeté d'un dire qui ne coïncide pas avec lui-même puisqu'il faut toujours à une idée une autre idée et à celle-ci une autre encore, aussi oblique, aussi tronquée que les deux premières : obliquité, discursivité, négativité sont une seule et même chose.
Ainsi dévoilée, l'affirmation révèle sa nature : substitut et non pas garantie de la vérité ; remplaçant la plénitude et la positivité absentes, elle immobilise l'idée afin de lui donner les faces qui lui manquent et de permettre de la contempler dans l'unité de toutes ses faces, elle comble les creux et bouche les vides pour poser à la fois le sujet et l'objet ; en elle et par elle, se confirment celui qui parle et ce qu'il[...]
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Écrit par
- Jeanne DELHOMME : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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