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DIEU Par-delà théisme et athéisme

Dans notre culture, théisme et athéisme sont des frères ennemis. La polémique ne cesse pas entre eux, parce qu'ils se nourrissent l'un de l'autre. Ce que l'un affirme, l'autre le nie. Mais tout à leur dispute, ils ne songent guère à renouveler le problème. La querelle continue sur de vieilles idées, avec de vieilles méthodes. Elle durerait longtemps si la question ne changeait pas comme question. Or voici qu'elle change et que le problème se pose autrement. Cette modification est l'une des plus significatives de notre époque. Les conséquences en sont incalculables. Il faudrait remonter très haut dans le passé pour trouver un phénomène de mutation mentale qui fût comparable. Il vaut donc la peine d'y être attentif et d'observer, en dehors de toute recherche érudite, dans quelles directions s'engage une pensée aussi novatrice. Pour simplifier, signalons trois directions principales : philosophie, ethno-sociologie (ou mythologie), élaborations religieuses.

Critique de l'onto-théologie

La philosophie, notamment sous l'impulsion de Heidegger, soumet l'idée de Dieu à une critique impitoyable, d'où elle sort à la fois déchue et promue. Cette idée, sous sa forme traditionnelle, apparaît prise d'une logique de la représentation qui tend à faire de Dieu l'Étant suprême, sur le modèle des autres « étants » (entendez : les êtres particuliers, ceux de notre expérience), quoique en plus grand, en infiniment plus grand. Si l'on accorde une valeur dogmatique au résultat produit par ce mécanisme de conscience, on nourrit sa propre illusion : on porte à l'absolu un terme relatif. Il faut donc récuser pareil procédé, bien qu'un long usage le consacre, en philosophie comme en théologie (la culture occidentale tout entière serait victime de cette erreur d'optique). On n'échappe au piège qu'en refusant de laisser l'Être (disons plutôt : l'inscrutable point-origine d'où procède toute dérivation) entrer dans le circuit de la représentation : les dieux, le divin, Dieu, tout cela est une lecture faussement ontologique qui évacue le mystère. Il convient de situer, de classer ces dénominations théologiques et d'ouvrir la conscience, non sur un sommet, un summum, mais sur un abîme. Le tort de l'athéisme serait de méconnaître ce sens de l'insondable qui nous hante, qui nous habite. Le tort du théisme serait de le tronquer, de le recourber sur un dire qui ne le dit pas, puisqu'on ne peut dire l'ineffable. Le vrai problème consiste à motiver ce « suspens », à ne le supprimer ni par un oui, ni par un non (mais il faut le motiver, l'instaurer, le préserver). Il n'est pas sûr que semblable doctrine n'ait pas des précédents illustres : le mysticisme spéculatif cherchait sans doute la même issue, et déjà le néoplatonisme (tel que le restituent plusieurs de nos contemporains). Il est même possible que la méthode de résolution, de simplification, préconisée par Plotin au iiie siècle de notre ère ait anticipé ce style de pensée avec une précision que celle-ci n'a pas encore égalée. Il reste que la nouvelle ontologie a l'avantage de réagir directement sur les théologies juive et chrétienne : sa volonté de les distancer la fait paraître d'autant plus audacieuse.

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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