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DIEU Problématique philosophique

Dieu et le « cogito »

L'ensemble des philosophèmes véhiculés depuis le début de l'ère chrétienne par la littérature patristique puis, après saint Augustin, par les théologiens représente le trésor conceptuel dont se nourrira la philosophie moderne. Il se compose ou dérive autant des termes hérités de la philosophie grecque que des formules bibliques. Ainsi « le nom qui est au-dessus de tout nom » (Philipp., ii, 9) laisse-t-il entendre le thème hébraïque du nom éternel, redoutable, qu'il faut louer et sanctifier, mais qui, bien que révélé, ne peut être prononcé. Toutes ces connotations demeureront à l'horizon des termes de transcendance, d'extériorité, du Dieu infini, lointain et invisible, séparé : le Tout Autre. En revanche, les poètes et les philosophes païens, implicitement cités par Paul devant l'Aréopage, inspirent l'idée de l'absolu « en lequel nous avons la vie, le mouvement et l'être [...] car nous sommes de sa race ». Et là se laissent percevoir les notions d'immanence, d'intériorité, de vie actuelle du divin dans la totalité de ce qui est. Extra et intra cuncta, absence et présence. Mais cette dualité atteste aussi une origine platonicienne : d'un côté, la première hypothèse du Parménide, ou encore le Bien au-delà de l'essence. De l'autre, la seconde, ou encore le Bien qui donne à toutes choses d'être et d'être connues. Ainsi s'esquissent les « hautes pensées » de ceux qui ne s'arrêtent pas « aux syllabes du nom [de Dieu] » (Descartes à Mersenne, 6 mai 1630).

La philosophie moderne revendiquera à juste titre son originalité, car la pensée de la pensée prend ici un sens différent de celui qu'elle avait chez Aristote. L'autonomie du cogito met en scène un sum, en lequel la pensée saisit l'être en se saisissant d'elle-même. Et, cependant, l'eidos, au sens platonicien du terme, continue d'imposer sa loi, même si ce qui est à penser n'est pas sans rapport avec celui qui pense. Il importe donc d'être attentif à cet héritage multiforme pour comprendre ce dont il s'agit quand on parle du Dieu de la métaphysique moderne. Ainsi, chez Descartes, la philosophie ne peut s'arrêter à « ce qui s'appelle Deus en latin, et qui est adoré par les hommes » (lettre à Mersenne déjà citée). Penser Dieu, c'est aussi comprendre que les vérités d'entendement « sont quelque chose de moindre et de sujet », car tout cela dépend d'un « être infini et incompréhensible ». C'est dire la puissance et l'impuissance de l'homme pensant, qui ne pose la question de Dieu qu'en partant de la finitude de la conscience de soi, qui découvre sa capacité de penser l'étant, mais en même temps son incapacité à se fonder elle-même. L'intime liaison du fini et de l'infini se manifeste du fait que l'infini se livre à moi dans la pensée, sans que soit annulée la différence.

Après Descartes, Malebranche et Leibniz entreprennent de reconnaître, en raison, l'être de Dieu et de parler de l'ordre de son entendement et de ses desseins, sans pour autant suivre la voie spinoziste de l'émanation nécessaire du fini à partir de l'unique substance. Plus théologien, Malebranche demeure sensible à l'incompréhensibilité de la loi divine, alors que pour Leibniz la monade-homme dépendant de Dieu partage avec lui la même rationalité. Étant toutefois de moindre envergure, la raison humaine ne peut concevoir qu'une partie des possibles conçus par l'entendement divin, voulus par sa bonté, réalisés par sa puissance. L'extension progressive du principe de raison fait apparaître Dieu comme ultima ratio, comme ens necessarium. Mais, chez ces philosophes, l'emprise de la foi chrétienne est telle que Dieu reste le libre[...]

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  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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