Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DIEU Problématique philosophique

Le souverain bien

Que l'idée du bien régisse le domaine entier du savoir, telle était l'essence même du platonisme. Philosophiquement réfléchie, l'expérience morale et politique donnait ainsi à penser, pour la première fois de manière principielle, la totalité de l'étant. Cette inspiration capitale traverse les siècles, mais c'est avec Kant que ce discernement éthique en vient à constituer le cœur même de la raison, non comme noyau pensable – le cogitabile – comme principe d'universelle intelligibilité, mais comme dabile. L'ens summum se donne à titre d'impératif, tel le principe du devoir et non du savoir. L'idée de Dieu, être moral, est la plus haute puissance, en un sens éthique. « Ce n'est jamais qu'au point de vue pratique qu'un tenir-pour-vrai théoriquement insuffisant peut être appelé croyance. » Concevoir l'idée de Dieu et croire en lui sont deux propositions identiques, dira l'Opus postumum, qui cite plus d'une fois le verset ci-dessus mentionné des Actes des Apôtres. Si c'est dans l'idée de Dieu que nous sommes, c'est en tant que poussés par la connaissance de nos devoirs comme commandements divins. Dieu est en moi comme raison éthico-pratique se donnant elle-même la loi, et c'est ce qui fait que nous sommes originairement « de race divine ». Est Deus in nobis. Même l'insensé, cité par Anselme et Kant, ne peut vouloir être intentionnellement ignorant de ce concept, c'est-à-dire de ce qu'il contient en fait d'impératif. Dieu n'est pas un objet, mais une idée, et comme cette idée implique un maximum, elle est « l'idéal suprême comme personne ». Sans elle, le bien suprême ne serait qu'une idée vide. Avec elle, la raison pratique se donnant librement la loi, « il y a un Dieu devient une proposition existentielle » (liasse I, 11).

L'origine, dont témoigne la croyance, laisse ici entendre quelque écho de la preuve dite ontologique. Penser Dieu et y croire est une seule et même chose, étant entendu que cette idée ne me donne rien à connaître, puisque, dans le fait de la raison qu'est l'impératif catégorique, elle me permet seulement de considérer les devoirs humains en tant qu'ordres divins. Dans cette référence philosophique à un Dieu qui ne vient pas à l'idée sous les espèces de l'ens necessarium de la métaphysique s'annonce une nouvelle forme de l'immédiateté du Dieu sensible au cœur : aux discours sur le suprasensible se substitue la quête du sens de la vie humaine. Ce qui conduit Kierkegaard, dans La Maladie à la mort, à remplacer l'égalité entre penser et être par le « croire, c'est être » (c'est-à-dire exister). Certes, l'idée de Dieu n'est pas alors à considérer comme l'une de ces opinions passivement reçues « en ma créance ». Elle concerne autant la volonté que l'entendement, puisque l'assentiment librement donné à cette idée dans l'instant même de sa saisie est fait de croyance et de persuasion (Descartes, Secondes Réponses) ; puisque sa certitude est celle de la volonté dont l'amplitude infinie est en moi « l'image et la ressemblance de Dieu » (Quatrième Méditation). L'Opus postumum pourra à son tour citer le discours de Paul à Athènes : « Dans l'idée de Dieu comme être moral – nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes » (liasse VII, 10).

Bien que Kant ait posé l'unité de la raison, à la fois spéculative et pratique, cela ne fut pas jugé suffisant par les philosophies idéalistes postkantiennes. Celles-ci ne purent se satisfaire de la juxtaposition infatigablement scandée par le dernier Kant : « Il y a un Dieu, il y a un monde. » Mais, si les objets du monde s'offrent au savoir, Dieu ne cesse de s'y dérober et ne relève que du croire. Le Dieu de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification

Autres références

  • ABSOLU

    • Écrit par
    • 4 222 mots
    2. Puisque l'athéisme ne fait que prendre acte, résolument, de la proposition conclusive de la théologie négative : « Dieu est rien », il présuppose la même conception négative de l'absolu. Mais il en est de même si l'on considère l'athéisme indifférent d'un scientisme qui complète la « mort...
  • ACTE, philosophie

    • Écrit par
    • 1 282 mots
    ...l'ouverture de l'action qu'anime une attente correspond un acte qui comble le manque ; l'espoir de l'acte anime l'attente et dessine la fin de l'action. La tradition aristotélicienne parle cependant d'un acte pur, qui serait Dieu. Or on ne peut pas penser que, par exemple pour Thomas d'Aquin...
  • AGAPÈ

    • Écrit par
    • 1 102 mots

    Le mot grec agapè signifie affection, amour, tendresse, dévouement. Son équivalent latin est caritas, que nous traduisons par « charité » (dans les textes stoïciens comme dans les textes chrétiens). Généralement, la langue profane emploie agapè pour désigner un amour de parenté ou d'amitié,...

  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    Ce fut au milieu du iie siècle que la question du type de création prit une grande importance dans le cadre de polémiques avec les sectes gnostiques. Celles-ci avaient en effet soulevé un sérieux problème théologique : si toute chose avait une origine divine, comment le Dieu bon des Écritures...
  • Afficher les 129 références