DIEU Problématique philosophique
La transcendance
Voir Dieu dans la nature, il n'y a là « rien qui crève les yeux » : Kierkegaard (Miettes philosophiques, « Le Paradoxe absolu ») rejoint Pascal sur ce point. Dans la tradition ouverte par Descartes, ce n'est plus à partir du monde que l'on remonte vers Dieu, mais à partir du moi pensant. D'où le souci primordial, dans la philosophie anti-idéaliste, de l'existant, de l'être-là. Du sens kierkegaardien de la transcendance du Dieu absolument différent, le passage s'est fait, au xxe siècle, à un ensemble bariolé de significations multiples, où se trouve impliqué le dépassement, l'aller-au-delà (transcendere) du donné immédiat. Il faut certes distinguer le mouvement de transcendance – lié à la découverte phénoménologique de l'intentionnalité – du « transcendant » entendu comme domaine de ce qui est au-delà de l'existence humaine, de la totalité de ses vécus possibles. Gabriel Marcel continue de donner au terme son acception traditionnelle : Dieu est dit transcendant comme le mystère qui certes me dépasse, mais parce qu'il me comprend et m'entraîne dans une pensée à laquelle je ne puis même idéalement m'identifier.
Mais, chez d'autres auteurs, dont la pensée évolue par principe en marge des philosophies proches du christianisme, de ces philosophies toujours en vue même lorsqu'on prend congé d'elles, la transcendance sera le nom neutre d'une divinité cachée ou encore à venir. C'est elle qui, chez Jaspers par exemple, ne s'offre qu'à un discours négatif accordé à l'expérience des limites ou de l'échec. C'est en ce monde qu'en certaines situations limites l'existant découvre ce que Jaspers (toujours fasciné par Kierkegaard et Nietzsche, et chez qui demeure vivace l'idée du dépassement de l'humain) appelle les chiffres de la transcendance. D'une autre nature que le savoir philosophique classique, le déchiffrement de cette écriture, la communication entre hommes au sujet de ces chiffres disséminés dans les expériences les plus diverses constituent dans leur ambiguïté même le fond de l'existence humaine. « Il est dur de réduire le Dieu personnel à son chiffre. Dieu en tant que transcendance reste lointain. En un instant il me devient plus proche dans ce chiffre que je crée moi-même, en tant qu'homme, au niveau d'un langage second. Mais l'abîme de la transcendance est trop profond. Ce chiffre ne résout pas la tension. Il est à la fois substantiel et problématique, il est et il n'est pas. » La transcendance du lointain, de l'étrange ne s'offre qu'à son être de chiffre, l'homme ne peut mettre la main sur la divinité, qui ne se laisse dire que dans l'éclair de l'instant.
Heidegger évoque aussi l'idée de celui qu'il appelle le « dernier dieu », qui n'apparaît que « dans l'instant et le lieu où ses signes brillent subitement et se dérobent au regard ». Apparition furtive de ce qui ne s'appelle plus « le transcendens par excellence », mais qui ne fait que passer dans les remous de l'histoire de l'être, de ce destin, dont la teneur hypermétaphysique (Walter Schulz) est évidente. Après la fuite de tous les dieux des religions, le dernier dieu est le dieu du passage, qui peut encore toucher l'homme dans la finitude de sa pensée et de son histoire. Ce Dieu de la pensée ultime (mais nullement épuisée), de la pensée qui ne se veut plus philosophique, est à l'évidence énigmatique. Il s'annonce en effet, dans sa différence, comme irréductible à l'être, à l'événement de la vérité de l'être. En ce retrait, la divinité du divin ne peut être désignée par aucun des vocables philosophiques qui, depuis les Grecs, ont nommé l'altérité de ce qui ne[...]
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Écrit par
- Jacques COLETTE : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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